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des parties expressives. Dans son Hadrien, ce sont des têtes et des ‘mains qui entrent dans le cadre, sans qu’on voie les corps : des têtes parlantes et des mains loquaces. Dans Cache-cache, on ne voit qu’uncorps, mais deux têtes. Dans l’Ave Cæsar entrent au moins cinq têtes, qui chacune donnent leur note différente, sans qu’on aperçoive les corps qui les supportent. En descendant à la rivière, il y a cinq physionomies très expressives, cinq mains également éloquentes, et pas un corps. Remarquez que, pour l’impression que produit une scène, pour les idées qu’elle éveille, les membres, les draperies, les dos sont le plus souvent des impedimenta, du poids mort : ils ne disent rien. Les têtes et les mains, au contraire, sont les transmetteurs les plus directs de l’idée du peintre. Or chez M. Alma Tadema, le carré des têtes par rapport au carré total de la toile est plus élevé que chez n’importe quel artiste. Personne n’a moins de poids mort.

L’agencement des personnages est aussi inspiré par le même souci de suggérer des idées, fût-ce au prix de la perfection esthétique de l’ensemble. Que de peines l’artiste ne s’est-il pas données, dans une réplique de son tableau de Claude, pour mettre sur la même ligne, à la même hauteur, la série des bustes des empereurs : César, Auguste, Tibère, Caligula, puis la tête effarée de Claude, blotti dans son rideau, afin que le regard, passant de ceux-là à celui-ci, des figures pâles de marbre à la figure pâle de terreur, sentit l’antithèse ! Dans son Ave Cæsar, il lui eût suffi, pour unifier la composition, de placer au premier plan un soldat, vu de dos, marchant vers Claude et le montrant du doigt à la foule. Cette unique figure conjoindrait toutes les lignes du centre de la scène. On aurait alors un tableau qu’on ne pourrait morceler sans déséquilibrer tout l’ensemble. Peut-être M. Alma Tadema ne s’en est-il pas avisé ; mais s’en fût-il avisé, que probablement il n’aurait pas donné suite à cette idée. Car une pareille figure attaquerait celle de Claude et gâterait l’effet dû à ces trois régions du tableau : la foule, — le vide, — l’Empereur ! Enfin, de cette dispersion qu’affectionne M. Alma Tadema, suit naturellement la forme allongée, basse, en manière de bas-relief, qu’il donne à ses toiles, et cette forme, qui est celle des frises et des peintures de vases antiques, ne contribue pas peu à évoquer en nous la sensation authentique de la vie romaine. Or cette disposition du bas-relief, ces gestes et ces mouvemens empruntés aux peintures de lécythes, vous ne les trouverez presque jamais dans notre Ecole française, pas plus que vous ne trouverez l’abandon des lois de la composition au bénéfice d’une idée. Nos classiques expriment des idées, mais ils composent. Nos réalistes ne composent pas, mais ils