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rudesse tyrannique aux faveurs dont il a de tout temps comblé les comédiens.

Au commencement du Consulat, on joue la comédie de société à la Malmaison ; d’abord sur une espèce de théâtre portatif qui se dresse dans la galerie près du salon, puis dans une petite salle que Bonaparte fait construire en un mois du côté de la ferme : elle pouvait contenir deux cents personnes, et l’inauguration eut lieu le 12 mai 1802. Parmi les artistes ordinaires, Mme Bonaparte, sa fille Hortense, Caroline Murat, Eugène de Beauharnais, Didelot, le général de Lauriston, et surtout Bourrienne, qui joue en perfection les rôles à manteaux. Talma et Michot font répéter. Quant à Bonaparte, il se contente du rôle de spectateur et s’amuse beaucoup à ces jeux. Bourrienne se plaint-il que son travail ne lui permette guère d’apprendre ses rôles, il prend ses manières caressantes, lui demande de faire cela en sa faveur : « Vous me faites tous rire de si bon cœur ! Ne me privez pas de ce plaisir-là ! Je n’en ai pas trop, vous le savez bien ! » Pour encourager ses comédiens, il leur donne des collections de pièces de théâtre richement reliées, de beaux costumes ; ils jouent à la Malmaison : les Héritiers, les Etourdis, Défiance et Malice, les Projets de mariage, le Dépit amoureux, le Barbier de Séville. Voici la distribution du Barbier : Rosine, Mlle Hortense de Beauharnais ; Almaviva, le général de Lauriston ; Figaro, Didelot ; Bartholo, Bourrienne ; Bazile, Eugène de Beauharnais ; l’Eveillé, M. Isabey. Hortense était une charmante Rosine, et si fort éclatait son zèle que son mariage avec Louis Bonaparte n’arrêta point les répétitions.

Les grandeurs impériales, une étiquette plus sévère ne permirent plus ce plaisir : de loin en loin seulement il y eut spectacle de société à la cour. Quand l’Empereur revint de Vienne, on imagina de lui offrir un petit vaudeville de Barré, Radet et Desfontaines, adapté pour la circonstance : les honneurs de la soirée furent pour Mme Louis Bonaparte et Mme de Rémusat, celle-ci dans un rôle de vieille Alsacienne enthousiaste de l’empereur, rêvant toujours, pour son héros d’exploits invraisemblables, et s’émerveillant de voir ses rêves dépassés par la réalité : elle chantait ce couplet :

Ce qui dans le jour m’intéresse
La nuit occupe mon repos.
Ainsi donc je rêve sans cesse
A la gloire de mon héros.
Les songes, dit-on, sont des fables,
Mais quand c’est de lui qu’il s’agit,
J’en fais que l’on trouve incroyables,
Et sa valeur les accomplit.