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lieu de gaspiller en locations de chasses des sommes improductives, se donnent le plaisir et se font l’honneur d’être des guides et des instructeurs indirects de la population rurale. Les concours agricoles fournissent bien des exemples de cette émulation. En Angleterre, ce sont des lords à fortunes énormes qui ont ainsi renouvelé et perfectionné les espèces animales domestiques, avec des béliers, des taureaux, achetés jusqu’à 4 ou 5 000 liv. sterl. sinon davantage (100 000 à 125 000 francs). Sans aller jusqu’à ces sommes énormes, on peut, dans des proportions efficaces, quoique modestes, contribuer à ce genre de progrès. Qu’une sorte de goût de sport et qu’un grain de vanité se mêle à ces essais, la fonction sociale de la fortune n’en est pas moins remplie. De même pour les reboisemens, la pisciculture, etc.

Il ne s’agit pas là d’expériences désordonnées, comme celles auxquelles se livrent des esprits incohérens ou imprudens et par lesquelles ils compromettent souvent et diminuent leur fortune ; il ne faut pas oublier que la maxime fondamentale est que le premier devoir du capital consiste à se conserver. Mais cette tâche d’expérimentation des progrès industriels et agricoles peut être assumée et suivie avec réflexion, circonspection, méthode, dotée seulement avec une fraction des revenus surabondans, non seulement sans compromettre le capital, mais même tout en laissant une large part à l’épargne annuelle.


III

La fonction sociale de la fortune est si essentielle en ce qui concerne l’exploitation du sol et la direction de la population rurale qu’on nous permettra d’y particulièrement insister. Les préjugés les plus funestes règnent à cet endroit, particulièrement dans les cercles législatifs et politiciens. On suppose qu’il y aurait avantage à développer de plus en plus la petite propriété aux dépens de la grande, à éliminer même complètement celle-ci: l’on ne voit pas qu’ainsi l’on se priverait du principal élément de progrès agricole.

La grande propriété, quand elle est en de bonnes mains, ne laisse pas d’avoir, en nombre d’occasions, une supériorité considérable, à divers points de vue, sur la petite. En général, la grande propriété moderne (nous distinguons nettement celle-ci de l’ancienne grande propriété nobiliaire) possède proportionnellement plus de capitaux que la petite. Outre que, jusqu’à un certain point, les capitaux acquièrent par la concentration une force qui dépasse celle qu’ils ont à l’état de dispersion, cette supériorité de capitaux est un avantage notable. On peut ainsi se pourvoir