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Exchange for Woman’s Work qui n’est autre qu’une maison de commerce fondée sur des principes charitables et qui existe plus ou moins florissante dans toutes les villes d’Amérique. Des femmes de conditions diverses apportent leurs ouvrages qui sont vendus sans nom d’auteur, ouvrages à l’aiguille, depuis les plus délicats jusqu’aux plus communs, tricots, écrans, tapisseries, linge confectionné, éventails, objets d’art et de fantaisie. L’un des bazars les mieux approvisionnés que j’aie vus en ce genre est à Philadelphie ; la pâtisserie, les confitures, les friandises et les conserves y tiennent une grande place. Toutes les commandes sont reçues, que ce soit pour dîners ou pour trousseaux, layettes, linge de maison, raccommodage ; chacun s’impose le devoir d’acheter là le plus possible. On prélève dix sous par dollar sur la valeur de la vente et le reste est remis à l’ouvrière anonyme qui doit, si elle n’est pas des plus habiles, se perfectionner à l’école d’apprentissage faisant partie de l’établissement, car on n’expose que des produits sans reproche. Ce sont les souscriptions qui payent le loyer, le chauffage, le gaz et autres frais de la maison.

Non, la richesse en Amérique n’est pas sans âme. Je ne l’ai jamais mieux senti qu’en visitant les homes d’ouvrières qui ne veulent pas être des œuvres de bienfaisance, mais de simples entreprises coopératives. Avant de les aborder, voyons combien la vie matérielle est difficile et coûteuse dans les grandes villes, cherchons à découvrir la contre-partie de la prodigieuse opulence qui s’étale dans les quartiers élégans de New-York. Pour cela il suffit de prendre successivement plusieurs elevated et de passer, comme si vous étiez portés par la béquille d’Asmodée, au-dessus des parties de la ville qui ne sont pas à la mode. Vous filez dans les airs sur un léger viaduc soutenu de loin en loin par des piliers de fer. D’une hauteur qui varie du premier au troisième étage, vous longez vos regards dans une espèce de gouffre rougeâtre, bariolé d’enseignes et d’affiches, où grouillent d’innombrables passans tous pressés, affairés, marchant à grands pas, sans rien regarder autour d’eux. D’ailleurs il n’y a rien à voir, rien que l’éternel alignement des hautes façades rouges d’une ennuyeuse uniformité. Précédées de leur perron raide et revêche, elles semblent dire aux petites gens : — Nous n’avons fait aucun frais ; ceci est bon pour les pauvres. Sils ne peuvent mettre que deux ou trois mille francs à leur appartement, tant pis pour eux. — Impossible de distinguer l’une de l’autre ces physionomies de grès ou de brique sans l’ombre d’expression ni d’originalité. Descendez à la fin dans une des rues en question et vous serez étonnés du soin que sous chaque porche le numéro met à se cacher, au lieu d’être comme chez nous en évidence ; le janitor invisible vous fera comprendre combien a été