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propre à la litière des animaux. Il exposait maintenant les raisons de sa conduite et de son mécontentement :

— C’est-y moi qu’a déclaré la guerre? Alors, pourquoi qu’on me prend-y mon bien? Hier les Prussiens, aujourd’hui les Français; et toujours comme ça... J’en ons-t-y vu des mauvais jours! Maintenant je donne plus ren. D’abord, pourquoi vous battez-vous avec des hommes qui ne vous ont point fait de mal? C’est-y pas vos semblables? Moi, j’ons causé avec eux : c’est des braves gens tout comme les autres, qui ne demandaint qu’à travailler pour gagner leur vie...

On riait simplement de son jargon, sans répondre à ses questions; il se livra davantage et raconta l’histoire de son beau-frère, emmené comme otage en Prusse.

— Voilà mon beau-frère, un fort ouvrier comme vous et moi, c’est-y de la justice qu’on l’ait pris prisonnier? Il était là tranquillement qui attendait les Prussiens devant sa maison, à Bricy. Il leur avait servi à boire sur sa table. « Voulez-vous des raisins, messieurs les uhlans? qu’il leur a demandé bien poliment; voulez-vous du jambon? Prenez à votre convenance... » Mais ces grands malfaisans l’ont poigne comme s’il avait tué père et mère; ils l’ont attaché avec une corde derrière un cheval, et trotte bidet! va dans leur Prusse, mon pauvre François! Je lui ons porté à manger quand il a passé à Gémigny. Tout de même, il ne se faisait pas trop de bile, parce que ma sœur lui avait cousu un billet de cent francs sous la doublure de son gilet...

Il regarda dans les yeux ceux qui l’écoutaient, manifestement fier de cette action de sa sœur ; puis il reprit :

— Un qui a de l’argent, il ne se fait pas de bile... Mais que direz-vous de l’aventure? C’est-y moi qui vas labourer pour lui à présent?... Je ne suis pas fort instruit, mais je sais bien que si vous ne pouvez pas seulement empêcher nos gens d’être pris dans leurs maisons, ce n’est pas la peine de faire la guerre. Aussi, je l’ai dit à mon garçon quand il a parti pour être mobile ; je lui ai dit : « Cache-toi bien dans les fossés ; n’attrape pas de mauvais coups... »

— Pauvre homme! interrompit le Père, affligé de ce qu’il pût exister par le monde des âmes aussi incapables de sacrifice.

— Ne l’écoutez plus ! dit-il hautement à ses soldats : il vous découragerait.

Il sortit avec plusieurs d’entre eux, et, les arrêtant dans la cour :

— Ecoutons plutôt ceci, reprit-il gravement.

Attentif à la rumeur lointaine de la bataille, il levait le doigt et les yeux vers le ciel. Le soleil de onze heures s’y montrait, pâle et froid, parmi de pesans nuages. Un instant, les vapeurs, se dissipant, démasquèrent sa face hivernale; puis l’astre se voila de