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Padre, disait le sonneur de clairon, date mi la benedizione[1].

Des bustes s’inclinaient hors du rang: comme des tiges sortent d’un fourré et se courbent vers la lumière, ces chrétiens tendaient à leur salut, et cherchaient leur prêtre avec des figures ferventes et des regards contrits. Honteux de n’être pas prêt devant ces hommes tout prêts, le Père se roidit et se maîtrisa aussi brusquement qu’il avait faibli ; il se réconforta pour marcher avec ces forts, et se sentit nouvellement capable de gravir leur calvaire et de les accompagner dans leur mort. Sa main bénissante traça si rapidement le signe de la croix sur la tête penchée du tromba, qu’il toucha la trompette pendue à côté du fusil et perçut le froid du métal. Parmi les premiers de la première escouade, il venait de voir Joseph de Vogué qui pliait anxieusement sa haute stature et clignait ses yeux myopes derrière son lorgnon ; près de lui, un conscrit bas-breton pleurait, tombé à genoux, et s’accusait hautement d’un vol qu’il avait commis jadis dans son village. Mais trop d’autres, plus loin, répétaient les mêmes instances : le Père renonça à les entendre séparément ; et, s’écartant un peu du front pour s’approcher ainsi de ceux qui attendaient à l’extrémité opposée, il se montra et se donna à tous; puis, longeant leur ligne avec de grands gestes d’absolution, il jeta largement le pardon sur ces têtes sacrifiées.


IX

Les officiers montés se réunirent devant le centre, en un seul groupe; les mobiles à droite, les francs-tireurs à gauche, s’alignèrent sur les zouaves, et les trois élémens ne formèrent plus qu’un tout. Déjà une batterie de mitrailleuses avait trotté cinq cents mètres vers Loigny; arrêtée derrière des buissons, elle crachait sa première gerbe de balles.

— En avant ! cria Charette, — et les zouaves mirent l’arme sur l’épaule droite, les clairons portèrent leurs instrumens à leurs lèvres. — Marche!... acheva-t-il, et le bruit des hourras couvrit la sonnerie de la charge, et tous, saisissant à pleine main le fourreau du sabre-baïonnette, penchés en avant, détendus dans leur effort, ivres de leur vitesse, se lancèrent au pas de course.

La réponse prussienne éclata par salves lointaines.

Sur la gauche du village, s’étendait une ligne d’artillerie incessamment développée, dérobée par endroits dans les plis du terrain ou cachée derrière ces menus obstacles superficiels dont la valeur

  1. Père, donnez-moi la bénédiction.