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évidente ; et il remarqua en même temps sous leurs pieds le sol tout jonché de pantalons rouges. Les soldats, rebelles tantôt à la voix de Sonis, demeuraient là couchés dans les sillons.

— Colonel!... Monsieur!... disait-il, essoufflé, au lieutenant-colonel de ce régiment, voyez cette brave troupe... la laisserez-vous massacrer?... Je vous en prie... Vous êtes chrétien... Marchez... Si ceux-là n’ont pas pu aller devant, qu’ils aillent au moins derrière !...

L’officier tournait le dos aux rangs désunis et tordait silencieusement sa moustache; à la fin, jetant un double regard derrière et devant lui, il répondit :

— Ce ne sont pas les mêmes hommes...

Cependant, les Bavarois, devant la rapide montée de l’assaut, avaient renforcé la garnison établie dans le petit bois, au sud de Loigny; celle de Villours s’était ajoutée à ce noyau; bref, cinq compagnies s’entassaient sous ce rideau d’arbres. Un feu rapide accueillit d’abord les tirailleurs français; mais ce feu se déconcerta bientôt, puis se tut même étrangement. Bien que les arrivans ne répondissent pas à leur : « Wer da ? » quelques-uns des défenseurs, trompés à la fois par la hardiesse de la marche et par l’aspect des uniformes, avaient cru reconnaître des Bavarois. Les cris sauvages que poussèrent les mobiles en entrant dans Villours coupèrent court à la méprise et ranimèrent la mousqueterie un instant silencieuse. Cette fois, les zouaves ripostèrent, arrêtés à soixante mètres du bois. Puis, les soutiens débordant la première ligne, tous ensemble, confondus, se ruèrent à la baïonnette. C’est à ce moment que Verthamon tomba ; mais Bouillé le père avait déjà repris l’étendard, qui ne fit que fléchir et ne toucha pas le sol. Un seul obus, éclatant dans le groupe des officiers montés, venait de blesser, de renverser, de disperser Sonis, Charette, Moncuit, Bouille, Ferron, Harscouet ; et la troupe, livrée à sa propre impulsion, se trouvait lâchée en plein carnage et en plein danger.

Le Père continuait à suivre. On lui apporta du Bourg, la poitrine percée d’une balle, puis Vetch, puis Tulane. Il les fit déposer derrière l’angle du mur qui clôturait la ferme ; c’était là un havre paisible où les mourans pouvaient mourir. Mais, craignant qu’on n’eût peine à l’apercevoir, et se sentant trop couvert, il sortit de l’abri pour rentrer lui-même dans le bois et s’offrir ainsi au devoir plus rude, à la mort plus abondante. L’étendard flottait parmi les branchages rares; des sifflemens aigus déchiraient l’air; les arbres, écorchés par cette fusillade sonore qui semblait venir de partout, projetaient aux yeux des brindilles, des mousses, des écorces. Un rang bavarois entier mettait la crosse en l’air et criait : « Kamerad! kamerad! » mais les assaillans