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lieux, dit-il dans les Documenti, car Dieu est présent partout. » « Priez tout bas, car Notre Seigneur ne regarde que le cœur. » C’était la maxime même de Dante en son Convitto et la pure doctrine du Père Séraphique.

D’un homme si raisonnable il ne faut point attendre un sentiment exalté de l’amour. S’il a lu la Vita nuova ou les sonnets de Guido Cavalcanti, il a dû les juger dangereux pour la paix de l’âme; les poésies de l’école sicilienne ou des troubadours lui ont semblé sans doute des lectures d’une condamnable sensualité. Ne lui parlez ni de volupté ni d’extase amoureuse. Sa gaie science est tout aristotélique. Amor, — écrit-il au Commentaire latin, encore inédit, des Documenti, — est medium inter duo extrema. Il considère l’amour comme une sorte d’entéléchie, une qualité noble des cœurs tranquilles, une vertu aussi éloignée du rêve mystique que de l’appétit charnel. Au fond, il n’y voit guère qu’une disposition très saine au mariage. Pour lui, le véritable amant est absolument discret, et la femme aimée aussi réservée et hautaine que pure. « Les femmes honnêtes, dit-il, aiment moins, mais sont parfaites. » De cette première vue excellente découle logiquement toute la morale en action de Francesco. Il proscrit toutes les faiblesses humaines qui mettent en péril la chasteté : la gourmandise, le jeu, la richesse excessive, les regards complaisans portés sur les femmes légères. « Fuis comme la peste les femmes sans pudeur, n’écoute que les dames sages ; arrête peu tes yeux sur leur visage et moins encore sur leurs mains. » Le conseil vaut pour la campagne comme pour la ville : « Si tu trouves l’hôtesse agréable, feins de ne point la voir, car elle te vendra bien cher son amer sourire. » Quant à l’épouse à rechercher, j’ose à peine dire à aimer, qu’elle ne soit ni belle, ni laide, ni lettrée, ni bavarde; qu’elle ne chante pas trop souvent à sa fenêtre ; qu’elle n’aime point la promenade; que, dans la rue, elle ne regarde ni à droite ni à gauche. Ce notaire, si Florence avait suivi sa doctrine, n’aurait assurément point rédigé beaucoup de contrats de mariage.

Mais Barberino, une fois son client marié, le suit à travers la vie, avec une sollicitude touchante, et, à chaque pas, l’avertit d’un danger, lui dénonce une embûche. Comptez de combien de gens il veut qu’on se méfie : les gens calmes comme eau dormante, les gens tristes, ceux qui ne regardent pas en face, ceux qui froncent les sourcils, ceux qui clignent de la paupière, les bellâtres, ceux qui baissent la tête en société, ceux qui vont pompeusement, « comme s’ils portaient une poutre », ceux qui marchent en sautillant comme les petits garçons ! Si l’on est en compagnie d’honnêtes gens authentiques, qu’on s’entretienne de Dieu avec les