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une centaine d’officiers de tout grade[1] : Dupont, dont la faveur sous Louis XVIII n’avait pas effacé la tache de Baylen; Desselles qui avait si bien secondé Talleyrand en avril 1814; Beurnonville, Donnadieu et Bordessoulle, émigrés en Belgique; Maison, également émigré, qui, sollicité par le gouvernement impérial de rentrer en France, répondait qu’il n’y rentrerait qu’avec 500 000 baïonnettes ; Curto, dont les furieuses paroles contre Napoléon avaient provoqué la sédition dans la garnison de Thionville ; les généraux d’Aultanne, Monnier, Ernouf, Loverdo, Briche et les colonels du 10e de ligne et du 14e de chasseurs qui avaient mené la guerre dans le Midi sous le duc d’Angoulême huit jours après que le gouvernement impérial était reconnu par les deux tiers de la France. Sans remords de sa complicité avec Marmont dans la défection d’Essonnes, Souham espérait bien conserver son commandement de Périgueux. Destitué, il se présenta aux Tuileries à une audience publique pour tenter de fléchir Napoléon. « — Que voulez-vous encore de moi? dit l’Empereur en se détournant. Vous voyez bien que je ne vous connais plus[2]! »

Plusieurs colonels, majors, capitaines et lieutenans furent radiés, à cause de leur hostilité persistante, sur la demande de Davout et des commandans de corps d’armée. La disgrâce des colonels Moncey, Oudinot et Zoppfell paraît moins explicable. Moncey n’avait fait que chercher à maintenir le 3e de hussards dans l’obéissance au roi, et cela jusqu’au 13 mars seulement; or Napoléon s’était montré indulgent à bien des actes analogues. On ne pouvait reprocher à Oudinot que de porter le nom de son père et à Zoppfell que d’être un protégé du duc de Feltre. Dénoncé comme royaliste, Bugeaud fut mis en retrait d’emploi par Davout dans le courant d’avril, mais Suchet, Grouchy, Gérard et Bertrand s’empressèrent de réclamer en faveur « du meilleur colonel de l’armée. » Replacé à la tête du 14e de ligne, il reçut comme compensation de sa disgrâce momentanée le grade de commandant dans la Légion d’honneur.

  1. Je dis : une centaine d’officiers, mais cette évaluation est certainement au-dessus de la vérité, car les documens ne mentionnent en tout que 48 destitutions ou mises en retrait d’emploi, dont celle d’un sous-lieutenant. Il va sans dire d’ailleurs qu’il ne faut comprendre dans ce total ni les officiers introduits dans l’armée sous Louis XVIII et qui la quittèrent en vertu des décrets de Lyon, ni les officiers déserteurs condamnés par les conseils de guerre, ni les officiers proposés par la commission pour une rétrogradation, ni enfin les officiers qui furent changés de corps.
  2. Ces mots : « Que voulez-vous encore de moi? » semblent confirmer l’assertion de Fain (Manuscrit de 1814, 242) que Souham, la veille de sa défection, était venu demander à l’Empereur 6 000 francs, que celui-ci lui avait donnés.
    Par un hasard où il entrait de la justice, Souham fut remplacé à Périgueux par Lucotte, le seul des généraux du 6e corps resté fidèle au devoir dans l’inexpiable nuit du 5 avril.