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qu’en soit l’enveloppe et la condition sociale, combien c’est intéressant et digne d’attention, une âme humaine; il y a, je le veux bien, autant de tout cela chez le George d’outre-Manche que chez le George français; je dis qu’il n’y en a pas plus, parce que je crois que c’est impossible. Et ma grande raison, c’est que je le crois.

Mais, comme je vous l’indiquais, Eliot, sans être oubliée chez nous, n’est pourtant plus, depuis quelques années, un de nos grands soucis. Et au surplus, nous la retrouverons. Passons à Ibsen.


Dans les Revenans, Mme Alving, dont la vie a été jusque-là une vie de foi et d’immolation chrétienne, bouleversée par l’atroce injustice de la destinée d’un fils condamné à la maladie et à la folie par les vices de son père, secoue subitement le joug de ses anciennes croyances et, du premier coup, va si loin dans cette indépendance retrouvée que, à un moment, elle n’hésite pas à pousser dans les bras du malade une servante qu’elle sait être sa sœur naturelle.

Dans Maison de poupée, Norah s’aperçoit que son mari ne la comprend pas et que, par conséquent, leur union repose sur un mensonge. Son mari est un honnête homme, mais d’une honnêteté littérale et timide. Norah lui en veut de n’avoir pas pris la responsabilité d’un faux commis par elle dans une intention charitable, et aussi de l’avoir toujours traitée comme une petite fille, comme une « poupée ». Et c’est pourquoi elle abandonne son mari et ses enfans pour s’en aller, toute seule, chercher la vérité, refaire son éducation intellectuelle et morale.

Dans l’Ennemi du peuple, un médecin de petite ville découvre que la source d’eau minérale dont l’exploitation fait toute la richesse du pays est empoisonnée. Il le dit, car c’est son devoir. Mais aussitôt les autorités constituées et le peuple ameuté par elles le traitent en ennemi public, et il succombe sous ces pharisaïsmes et ces égoïsmes ligués ensemble.

Dans Rosmersholm, Rosmer, descendant d’une vieille famille très fermement religieuse, a recueilli chez lui une jeune fille libre penseuse et révolutionnaire, Rébecca, dont il subit l’influence jusqu’à renier ses anciennes croyances et embrasser, comme on dit, les « idées nouvelles». La liaison, d’ailleurs chaste, de Rosmer et de Rébecca a poussé à la folie, puis au suicide, la douce Mme Rosmer. Et, dès lors, le veuf et sa jeune amie sentent entre eux ce cadavre. Rosmer reste désemparé entre la foi qu’il n’a plus et celle que Rébecca a voulu lui communiquer. L’aventurière elle-même