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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.



31 décembre.


L’année qui s’achève laisse une impression confuse. Les événemens sont encore trop près pour qu’il soit facile de les démêler et d’en bien saisir le sens. Nous n’essaierons pas d’appliquer à cette courte période de temps toute une philosophie de l’histoire. Il y a un an, M. Casimir-Perier était président du Conseil et M. Charles Dupuy président de la Chambre : aujourd’hui, M. Charles Dupuy est président du Conseil, et la Chambre est présidée par M. Henri Brisson. Le coup de poignard de Caserio a rendu vacante, d’une manière prématurée, la Présidence de la République, et les républicains de gouvernement ont réussi à y porter M. Casimir-Perier. Voilà les faits les plus saillans. L’année 1894 aura certainement une place importante dans l’évolution de notre politique intérieure, mais le caractère en reste pour le moment un peu indistinct. On y a vu des commencemens sans suite, des velléités qui n’ont pas été toujours soutenues par une volonté suffisante, des poussées énergiques, puis des défaillances et des découragemens. Le ministère actuel reflète avec assez d’exactitude cette situation. En de certains jours, il est impossible de ne pas l’appuyer et l’applaudir, car il a l’attitude et il tient le langage d’un gouvernement. Mais, dans d’autres, sa conduite est plus hésitante et la confiance en lui n’est pas sans un mélange d’inquiétude. Il a essayé plus d’une fois, surtout au début, de faire de la conciliation avec les partis avancés et, s’il a renoncé à cette tactique, c’est parce qu’il s’est aperçu qu’en cas de succès d’autres que lui étaient tout prêts à lui enlever les profits. Les mathématiciens traceraient sans beaucoup de peine un graphique qui rendrait ses oscillations sensibles à tous les yeux.

Il est pourtant juste de reconnaître que le cabinet a pris peu à peu une assiette plus ferme, et que la nécessité quotidienne où il s’est trouvé de combattre les socialistes a fini par lui imprimer une allure plus vigoureuse et mieux définie. Nous ne dirons pas que nous sommes dans une période de transition, le mot est trop banal : toutefois personne ne contestera que, depuis les élections dernières, un élément nouveau a été introduit dans l’organisme politique et en a profondément modifié le fonctionnement. Nous voulons parler du socialisme, ou plutôt des socialistes, car il y a peut-être une différence à faire entre la doctrine et ses représentans. La doctrine se contente d’être fausse : ceux qui la défendent ont apporté chaque jour dans la lutte