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à Rustem-Pacha, et sir Ph. Currie faisait une déclaration analogue à la Porte. Celle-ci avait bien promis d’ouvrir une enquête ; mais comme elle avait commencé par décorer le commandant des troupes et le mufti de Bitlis, qui avaient si brutalement réprimé l’insurrection, son impartialité ne semblait pas entière. De plus, un journal officieux, le Tarik, avait annoncé que l’enquête porterait sur « les crimes des brigands arméniens, » ce qui était en préjuger les résultats. Lord Kimberley menaçait d’invoquer auprès des puissances l’article 61 du traité de Berlin et de les saisir de l’affaire. Il demandait le désaveu de la communication faite au Tarik et l’adjonction à la commission d’enquête des consuls anglais, français et russe à Erzeroum, afin de contrôler dans le présent les opérations de l’enquête, et d’envoyer dans l’avenir des rapports mensuels à leurs gouvernemens. Presque en même temps, sir Ph. Currie faisait des ouvertures dans le même sens à M. Cambon, notre ambassadeur à Constantinople, et au chargé d’affaires de Russie. La Porte, aussitôt instruite de cette démarche, en éprouvait une telle impression qu’elle s’empressait d’offrir d’adjoindre un consul britannique à la commission turque. Fort de cette offre qui semblait remettre la direction de l’affaire entre ses mains, sir Ph. Currie demandait de nouveau à ses collègues français et russe s’ils consentiraient à adjoindre leurs consuls au consul britannique. La réponse était délicate. Assurément, nous ne pouvions pas refuser la présence de notre consul si le sultan la demandait ; mais la proposition venant de l’Angleterre ou de son représentant à Constantinople avait un autre caractère. Au surplus, ayant moins d’intérêt dans la question que la Russie, nous devions nous mettre d’accord avec elle pour adopter une attitude commune. À ce moment, M. Cambon a été reçu par le sultan, et, à la suite de cet entretien, Sa Majesté Impériale a fait, le soir même, adresser officiellement à notre ambassadeur et au chargé d’affaires de Russie la demande d’associer nous aussi nos consuls aux travaux de la commission. M. de Nélidof, ambassadeur du tsar, est arrivé à ce moment à Constantinople avec des instructions qui lui ont permis de donner une réponse favorable. Nous avons fait de même, et sir Ph. Currie a reconnu que les trois puissances devaient, en effet, être placées sur le même pied.

L’entente paraissait complète ; elle l’était en effet entre les ambassadeurs. Mais le gouvernement anglais a prescrit à sir Ph. Currie de faire connaître à la Porte qu’il acceptait sa proposition première d’adjoindre à la commission d’enquête un consul anglais avec la faculté pour celui-ci d’interroger les témoins et la mission de faire un rapport séparé, qui serait envoyé aux puissances signataires du traité de Berlin. Cette attitude nouvelle du cabinet de Londres a tout remis en suspens ; toutefois les conséquences en ont été heureuses. Elle a permis d’étudier la question de plus près, et on s’est aperçu alors qu’il y aurait