Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/297

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dont les racines plongent très avant dans l’histoire, on croit l’avoir montré ou du moins laissé entrevoir ; qu’elle soit une démocratie historique, par ses institutions civiles, ses coutumes et ses mœurs, c’est, maintenant, ce qu’on voudrait établir. Mais, pour le faire, il faut sortir des généralités et raisonner sur une espèce, analyser dans le détail la vie publique d’un canton suisse pris entre les XXII Gantons et non point sans doute au hasard, mais un de ceux où la démocratie passe pour avoir, politiquement et économiquement, son expression la plus complète.

S’il résulte de cette analyse que, politiques ou civiles, toutes les institutions de ce canton touchent, en effet, à l’extrême démocratie et que les coutumes, les mœurs y sont aujourd’hui sensiblement pareilles à ce qu’elles étaient aux extrêmes confins de l’histoire ; si les idées et les choses de ce temps, celles qui portent en elles-mêmes le plus de force, doivent, pour y pénétrer, se couler et se conformer au moule traditionnel ; si ce qui est vrai de ce canton l’est plus ou moins aussi de tous les autres, alors il y aura une raison de plus pour définir la Suisse « une démocratie historique », et peut-être il ne sera pas impossible d’en formuler la loi à peu près ainsi : Quoi qu’il arrive en Suisse, il n’y arrivera rien qui ne soit une conséquence de toute l’histoire et comme une projection dans le présent de tout le passé des cantons et de la Confédération. La démocratie suisse, c’est de l’histoire en mouvement.


II

Le canton des Grisons peut être pris pour type de cette extrême démocratie et de cette démocratie historique, dont se rapprocheraient, à des intervalles inégaux, les vingt et un autres cantons de la Confédération helvétique[1]. Des Alpes d’Uri aux Alpes rhétiques et du mont Saint-Gothard à la frontière autrichienne, il couvre la sixième ou la septième partie de la superficie totale de la Suisse, englobant les vallées quasi parallèles de l’Inn, du Rhin postérieur et du Rhin antérieur.

Une de ces vallées, la dernière, celle du Rhin antérieur, est particulièrement intéressante. Lorsque, parti, le matin, de Gœschenen ou d’Andermatt, au sortir du val d’Urseren, on s’est élevé, par une route en lacets et pendant plus d’une heure, le long des pentes dénudées de l’Oberalp, montant et tournant toujours, et, à chaque nœud que fait le lacet, se trouvant quelques

  1. Il faut seulement faire observer que les Grisons ne sont entrés que très tard dans la Confédération, au commencement de ce siècle, on 1803. Jusque-là les Ligues grisonnes n’avaient été, pour la Suisse, qu’un État allié, mais un allié extérieur.