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Winterthur ; ni comme le centre, assez semblable à notre centre gauche français, pépinière de jurisconsultes et de financiers émérites, où la Confédération trouve toujours d’habiles négociateurs pour ses traités de commerce, refuge du libéralisme politique et de l’orthodoxie économique, où l’on compte MM. Crammer-Frei, de Zurich, Speiser, de Bâle, Hammer, de Soleure, Cérésole, de Lausanne, von Steiger, de Berne ; ni même une minorité comme le groupe des catholiques et des conservateurs, s’ils ont nom Muheim, d’Uri, Keel, de Saint-Gall, Theraulaz, de Fribourg, et Reichlin, de Schwyz.

Et ce n’est point non plus que l’assemblée fédérale ne travaille pas : il y a telle de ses commissions, comme la commission chargée d’étudier une loi sur l’assurance obligatoire, dont les procès-verbaux sont des monumens. Mais c’est que le peuple suisse, ayant toujours en main sa souveraineté, armé qu’il est et du veto et de l’initiative, sait qu’en définitive il ne cesse pas un instant d’être son propre législateur, qu’il n’aura que les lois qui lui plaisent et qu’il aura toutes les lois qui lui plaisent. C’est que, dans le Parlement helvétique, les partis n’ont plus de programmes ou que leurs programmes ne remuent plus le pays[1]. C’est que la vie de la Suisse n’y est plus, si elle y a jamais été. C’est, pour être bref, que le parlementarisme n’est que comme un placage sur l’histoire nationale.

Malgré les avertissemens, la plupart des chefs radicaux attendaient du référendum et de l’initiative populaires tout autre chose que ce qu’ils ont donné. Leur désillusion n’a d’égale que la désaffection du peuple envers le parlementarisme[2]. Cette désaffection est commune aujourd’hui, de nombreux symptômes en témoignent, à toute l’Europe occidentale. En Suisse, elle ne se déguise pas. Déjà, un orateur a osé dire, à propos d’un projet de construction d’un nouveau palais pour les Chambres, que ce qu’il fallait songer à bâtir, c’était « le mausolée du parlementarisme. » Il allait, sans doute, un peu vite en besogne : un régime politique, une constitution sont morts longtemps avant que leur décès soit déclaré

  1. Dans l’Assemblée fédérale suisse, il est très difficile de constituer et de faire vivre des partis qui aient un programme, parce que les questions locales se mêlent incessamment aux questions de principes, ou bien, sur les questions de principes, il y a des points de vue locaux. Les radicaux de Berne ne pensent pas comme ceux de Lucerne, ni même ceux de Genève comme ceux de Lausanne. A plus forte raison, de Zurich au Valais ou aux Grisons. De même pour le Centre et les catholiques, quoique chez ces derniers l’unité de foi maintienne quelque unité de doctrine et de tactique. Et il faudrait tenir compte encore des différences d’esprit et de mœurs entre les cantons, ne fût-ce qu’entre ceux de la Suisse française et de la Suisse allemande.
  2. Voy. un tout récent article de M. Numa Droz, dans la Bibliothèque universelle et Revue suisse de novembre 1894,