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IV

Personne n’était aussi atteint par ces résolutions que le général Trochu. Tout Français avait le droit de les déplorer comme un malheur public : pour le général elles étaient en outre une injure personnelle. Elles lui préparaient une part de dupe et de complice dans les désastres qu’il avait prédits et cru prévenir.

A Châlons il s’était engagé à défendre l’empire, Paris et la France. Mais, certain que le seul moyen de sauver l’empire était de vaincre l’Allemagne, et que la seule chance de la vaincre était à Paris, il avait vu dans sa triple tâche une mission unique. Quel réveil d’un noble rêve ! Dès la première heure, il avait été accueilli par la régence en importun. L’empereur, dont la présence devait mettre chacun à sa place, n’était pas venu malgré les conventions faites. L’armée enfin s’éloignait pour se perdre en Lorraine. Il ne restait au gouverneur de Paris que le devoir odieux de défendre contre la colère publique un gouvernement acharné à sa propre perte par la folie de ses fautes, et le devoir honteux de présider à la capitulation de la capitale sans défense.

Pour échapper à l’amertume de ce présent et au deuil de cet avenir, Trochu avait une ressource : se démettre. Il le pouvait sans défection, puisque l’empereur, en manquant à ses promesses, enlevait au général le moyen de tenir les siennes. Un homme soucieux de son ambition ou de son repos eût renoncé à une fonction devenue un piège. Mais disparaître n’était sauver que soi. Trochu pensa qu’il avait mieux à tenter, qu’il était en droit de ne pas consentir à cette sorte de vol fait aux engagemens pris, à sa gloire, surtout au salut du pays ; que les résolutions contraires et les incertitudes où n’avait cessé de flotter Mac-Mahon laissaient encore des chances à un retour de sagesse avant la catastrophe ; que son devoir à lui était d’aider à ce nouveau changement, que le poste où il était placé était une influence, et qu’il n’avait pas droit de la livrer. Il résolut donc de garder sa charge, et d’employer l’autorité qu’elle lui donnait à combattre les desseins militaires de la régence.

Or, pour soutenir non seulement sa cause, mais lui-même, agent révocable, malgré le mauvais vouloir du gouvernement, il avait une seule force, celle qui l’avait élevé, l’opinion. Par une marche inverse à celle de la régence, qui mettait ses plans de campagne au service de sa politique, le général fut donc conduit à appeler la politique au secours de ses projets militaires.

La proclamation par laquelle il s’était annoncé, le 18, aux