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par neuf membres. Elle était signée par M. de Kératry, homme d’opposition, mais d’une opposition plus bruyante que haineuse, connu pour avoir voté la guerre, et que ce lien rapprochait de la majorité, ancien officier et, à ce titre, uni par des rapports personnels à M. Jérôme David. Le projet fut soutenu comme un moyen de manifester l’union de l’armée et du pays en face de l’étranger. Cette proposition d’apparence sentimentale était en réalité un coup de parti. On savait combien il est difficile à un gouvernement de se refuser aux mesures même inutiles, même embarrassantes, que le patriotisme semble inspirer ; on espérait que, par crainte de blesser la dignité de la Chambre et par confiance dans ses sentimens politiques, la régence ne mettrait pas obstacle à cette élection, ne se doutant pas même de ce qu’elle cédait. Or le conseil de défense avait à sa tête le gouverneur de Paris ; composé par Montauban, il n’offrait pas de prises à Trochu, qui le présidait, mais ne l’inspirait pas. Si la Chambre par son vote introduisait dans ce conseil neuf membres acquis aux idées militaires du général, elle en changeait l’esprit ; Trochu pourrait en obtenir un vœu formel qui rappelât Mac-Mahon à Paris ; la régence n’oserait s’obstiner contre la volonté, devenue solidaire, de l’armée et du Parlement. Tout réussit d’abord comme les députés l’espéraient. Le ministère se tut, le projet fut pris en considération, tous les commissaires nommés pour le transformer en projet de loi se trouvèrent favorables et élurent pour rapporteur M. Thiers. Mais ces indices avaient donné l’éveil au gouvernement. Il déclara s’opposer à la mesure. Cela suffit. A la seule menace d’un conflit, la Chambre abandonna son dessein déjà à moitié réalisé. Elle voulait lier doucement le pouvoir par surprise et durant son sommeil sans lui faire violence. Tout ce que le gouvernement concéda fut d’introduire dans le conseil de défense cinq députés ou sénateurs, mais choisis par lui seul, et parmi eux il promettait de nommer M. Thiers. Cinq membres nouveaux, même partisans de Trochu, ne suffisaient pas échanger la majorité du conseil, et en fait, sauf M. Thiers, tous ceux qui furent nommés étaient acquis aux projets de Montauban. Cet effort parlementaire aboutit à un seul résultat : M. Thiers, mis en état de connaître mieux les nouvelles de la guerre, pouvait renseigner vite et plus sûrement la Chambre sur les périls de cette aventure qu’elle déplorait et qu’elle laissait s’engager.

Mac-Mahon se mit en marche le 23 au matin. Entre Montmédy et Reims il y a quatre petites étapes. Le 23, le prince de Saxe était à hauteur de Clermont-en-Argonne, le prince royal à hauteur de Saint-Dizier en Champagne, séparés l’un de l’autre par deux étapes, et le premier placé à deux, le second à quatre étapes de Montmédy.