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nécessaire à l’étude des chefs-d’œuvre et à la poursuite de l’idéal, décrivant des tableaux de Jules Romain, où l’on voit « les fleurs exhaler le triste parfum de leurs boutons, le rossignol pleurer sur les alentours rocailleux et l’hirondelle infléchir son vol aux longs replis » de la même main qui versait la strychnine dans la tasse de miss Hélène Abercrombic… Peut-être pareillement, les expressions outrées, les cous tordus, les genoux contournés, les bras lassés et repliés des préraphaélites, ne sont-ils que les traits d’un masque qu’ils se donnent, les effets d’une gageure qu’ils ont juré de tenir. Mais nul ne peut l’affirmer. Ils ont longuement vécu avec ce masque, quelques-uns sont morts sans le quitter, emportant dans la nuit où rien ne bouge, la joie d’avoir dérouté les indiscrétions de la critique et mystifié son pontificat. — Quand on parcourt un musée d’artillerie, une salle des gardes, où des armures vides font la haie, on voit quelquefois des casques dont la bouche, largement fendue et retroussée aux coins, fait rire toute la physionomie de fer. Ces casques baissés vous suivent du regard et, où que vous alliez, vous les apercevez, ricanant toujours… Le masque préraphaélite, lui aussi, vous entre profondément dans le souvenir et il garde toujours une expression désolée, sans que vous puissiez deviner si c’est là ce que sent vraiment l’artiste ou si ce n’est qu’une armure qu’il a empruntée aux collections du moyen âge, pour passer, visière baissée, à travers ces foules du XIXe siècle, choquées d’abord, puis intriguées, mais charmées et bientôt presque amoureuses…

Du moins cette particularité va-t-elle toujours sans bassesse. Les artistes anglais ne cherchent pas à varier leurs effets en adoptant indifféremment, pourvu qu’ils soient significatifs, les gestes lourds, les poses déhanchées qu’on voit chez les gens du peuple, dans les carrefours. Ils ne se permettent pas une attitude canaille, une pose pouvant évoquer une idée grossière ou sensuelle, ironique ou drôle, rien qui corresponde aux croquis de M. Raffaelli. Ils caractérisent, ils ne caricaturent pas. Sauf dans Trouvée ! de Rossetti, et dans l’Ave Cæsar d’Alma-Tadema, la grande peinture anglaise ne nous offre pas un exemple de vulgarité. Même dans ces figures accablées que Rossetti, Burne-Jones et Watts nous montrent si souvent : Caïa fléchissant sous la colère céleste, la Dame à la chaîne d’or, Guinevère prête à tomber en pâmoison, les servantes de la Belle au Bois dormant cédant au sommeil, l’Espérance tirant un dernier son de la dernière corde demeurée à sa lyre, même dans les figures les plus abattues, il n’y a jamais rien de hagard : la bouche exprime le dédain, non le dégoût ; le geste las n’est jamais veule, les poses abandonnées