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Seulement cette entrevue, dont le désir était à lui seul une révélation des tendances politiques de Hardenberg, présentait plus d’un danger. Stein était un proscrit, mis au ban des nations par le maître qui dominait l’Europe. Qu’elle vînt à être connue de Napoléon, c’était la perte de Hardenberg, de Stein, peut-être de l’État prussien. La rencontre fut organisée dans le plus profond mystère. Elle eut lieu à Hermsdorf le 14 septembre[1].

Le 31 août 1810, Hardenberg partit pour accompagner le roi, qui se rendait à Breslau. De là, sous prétexte d’aller rendre visite à Buchwald au comte Reden, son beau-frère, il s’arrangea pour joindre Stein dans un coin isolé des montagnes qui forment la frontière de la Bohême. Il lui avait envoyé tous les projets financiers élaborés par lui-même, par ses adversaires, par la commission qu’il avait désignée et dont les travaux venaient d’aboutir. Le détail des vues échangées demeure mal connu. On sait seulement que Stein revint plein d’espoir, confiant dans les résolutions de « l’homme intelligent et noble » qu’il venait de quitter. On sait aussi que, entre autres conseils, il lui donna celui « d’appeler aux affaires des hommes intelligens et estimables, d’écarter les vieilles femmes. »

On sait aussi que, si Hardenberg parut suivre les conseils de Stein dans leur application immédiate, il le déçut sensiblement dans ses espérances d’avenir ; il le déçut surtout dans l’espoir qu’il avait formé de voir Hardenberg entouré d’hommes intelligens et respectables. Le chancelier avait le goût d’un entourage médiocre et subalterne, des aventuriers et des gens de moralité douteuse[2]. Quelques jours après son entrevue avec Stein et son retour à Berlin il publia l’ordonnance du 27 octobre 1810 sur l’organisation du gouvernement central, reproduction de celle que Stein avait rendue en 1808. Elle organisait sa dictature ministérielle. Le même jour parut l’édit de finances qui était le résultat et qui marquait le terme des travaux, des discussions, des pourparlers que le chancelier avait engagés depuis son arrivée au pouvoir et même auparavant.

Le moment est venu de dire un mot du fond du débat, d’examiner quelles étaient les vues du chancelier, en quoi elles avaient paru si critiquables, en quoi elles furent modifiées, et dans quelle mesure elles devaient être réalisées.

  1. Karl Mamrotb, Geschichte der preussischen Staats-Besteuerung, p. 209. — Pertz, Stein’s Leben, II, p. 515.
  2. Treitschke, Deutsche Geschichte, I, p. 366. — Hausser, Deutsche Geschichte, III, p. 489.