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lendemain. Le vieil impôt foncier avec ses iniquités, ses privilèges, la confusion traditionnelle de son assiette, traversa intact toute la crise que subit alors le système des impôts prussiens.

Tandis que l’impôt foncier demeurait intact, l’impôt indirect subissait un remaniement profond ; mais de ce côté encore la législation financière de Hardenberg était loin d’être en harmonie avec ses déclarations de principe, et ce n’était point sans motifs que Niebuhr et Schön l’avaient signalée comme contraire aux idées nouvelles.

On voulait trouver de l’argent, et dans un État comme la Prusse où les misères individuelles ne le cédaient en rien à la misère publique, où pouvait-on en trouver ? L’impôt indirect n’avait point seulement ces avantages de facile perception, de perception occulte, qui l’ont fait bien souvent préférer à l’impôt direct. Un des collaborateurs de Hardenberg disait avec raison que, pour la perception de l’impôt direct, chaque contribuable, se sentant frappé personnellement, était l’ennemi naturel de l’État, tandis que pour la perception de l’impôt indirect, chaque contribuable, étant consommateur, était l’auxiliaire naturel et inconscient du fisc. Mais ce n’étaient point seulement ces raisons théoriques qui pouvaient conduire par une pente presque insensible à l’accroissement de l’impôt indirect les hommes qui dirigeaient alors les finances de la Prusse. On pourrait presque dire qu’ils y étaient poussés par une sorte de fatalité.

La Prusse n’avait jamais été riche. Il n’y avait jamais eu sur son territoire ni beaucoup de superflu à dépenserai beaucoup de dépenses de luxe. Poussé aux dernières exigences de la fiscalité, l’État prussien n’avait guère d’autre ressource que de frapper les seuls produits qui eussent cours alors, les objets de première nécessité, ceux qui se consomment nécessairement dans l’État même le plus pauvre, parce qu’ils sont indispensables à toutes les existences, si restreintes qu’elles soient : le pain, la viande et la boisson. La législation fiscale de Hardenberg prit, par là, un caractère presque odieux.

Que l’on se représente ce que pouvaient être dans la Prusse de 1810 ces impôts nouveaux qui venaient frapper les objets de première nécessité. L’impôt indirect avait été jusqu’alors limité aux villes, formant comme une barrière entre elles et le pays plat. Les populations rurales, accablées de tant de charges, placées dans un état de dépendance si misérable, y avaient échappé jusqu’alors, au moins pour les objets dont il leur était permis de s’approvisionner hors des villes, et voici qu’elles se trouvaient appelées à couvrir les charges de l’État par un prélèvement opéré sur les maigres ressources qui les aidaient à vivre.