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forêts inextricables ou dans des déserts n’offrant aucune ressource pour celui qui s’y aventure. Les plus difficiles à atteindre sont celles qui habitent les hautes zones, et où l’on n’arrive qu’à travers mille dangers sous un ciel dont la rigueur est intolérable. La population manque sur les hauteurs, les moyens de transport y sont donc impossibles. Il faut avoir tout avec soi, guides, porteurs, mules, chevaux, vivres, armes, caisses d’emballage. Heureux quand, la récolte faite, hommes, mules et plantes ne roulent pas au fond d’un précipice !

Dans les Indes néerlandaises, à Bornéo, plus particulièrement, si riche en Anœctochilus, ces ravissantes petites plantes à feuillage orné de dessins argentés ou dorés sur fond de velours, le collectionneur doit les chercher tantôt à 1 400 mètres de hauteur, tantôt au niveau de la mer. Les parties du sol de cette île qui ne bénéficient pas des chaleurs desséchantes de l’été, sont perpétuellement à l’état de marécage et par conséquent malsaines. Cette circonstance cause des déceptions cruelles à ceux qui débutent dans la recherche des Orchidées. Les voyageurs inexpérimentés croient toujours pouvoir faire de riches découvertes dans les profondeurs des forêts vierges, mais après des excursions de plusieurs jours accomplies dans les conditions les plus pénibles, car il faut toujours avoir la hachette à la main, ils sont obligés de revenir à leur point de départ sans avoir rien trouvé.

Ce qu’il y a d’odieux, c’est la transformation de ces régions boisées en îles flottantes ; il n’est pas rare d’y rencontrer des espaces de plusieurs milliers de mètres carrés dont le sol est mouvant et vaseux. Les Dayaks de Bornéo mettent à profit ces marais pour y capturer des sangliers et des cerfs ; dans ce dessein, ils se réunissent, et formant un cercle de rabatteurs, ils acculent ; ainsi leur proie dans les parties boueuses où elle est facilement tuée à coups de lance.

Pour franchir ces espaces dangereux, les indigènes coupent d’ordinaire des branches d’arbre ou des arbres entiers en nombre suffisant pour former une sorte de pont que l’on passe, soit à pied, soit en l’air, suspendu à la force du poignet, — si la nature vous l’a donné solide. Pour comble de souffrances, ces forêts sont remplies de moustiques et de sangsues. Il est indispensable, pour échapper à leurs atteintes, de faire construire des cabanes de branchages, élevées sur pilotis à plus de deux mètres au-dessus du sol ; les indigènes entretiennent au-dessous de ces huttes un feu produisant une fumée épaisse, afin d’écarter les serpens, les cancrelats et les cousins. Ce n’est qu’alors que les chasseurs d’animaux ou de plantes s’enveloppent pour la nuit d’une