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nous venons d’analyser la complexion maladive et faut-il suivre les vaines agitations de ce cœur désemparé ? Benjamin Constant a vingt ans ; il a déjà commis plus d’une sottise. Le hasard, maître de sa vie, fait qu’il rencontre sur son chemin Mme de Charrière et qu’il lui plaît pour sa grâce de gamin désabusé et pour les boucles de ses cheveux blonds. Il devient le chérubin de cette marraine très quadragénaire. Elle achève de le déniaiser et complète l’œuvre bien commencée de son scepticisme. Elle aura à s’en repentir et souffrira du ton des lettres qu’il lui adresse, léger jusqu’à l’impertinence et indélicat jusqu’au cynisme. Il fera si bien qu’il tuera chez elle même le regret. Elle le reverra sans émotion et sans plaisir : « Nous n’avons ri ensemble de rien, sinon de nous-mêmes, ou plutôt l’un de l’autre. » — Le hasard a parfois des jeux méchans. Benjamin se laisse marier à Wilhelmine, baronne de Cram, qui est sans beauté, sans esprit et sans cœur. Comme bien on pense, il fut dominé par elle : « Ah ! ce n’est pas l’esprit qui est une arme, c’est le caractère. J’avais bien plus d’esprit qu’elle, et elle me foulait aux pieds. » Par bonheur, Wilhelmine abusa du droit qu’a la femme d’être une peste. Ses intrigues étaient d’ailleurs publiques et internationales. Suivant le mot de son mari, elle tâtait de toutes les nations. Un divorce intervint. — Tout autre que Benjamin eût été à jamais dégoûté du mariage ; mais l’imprévu est l’unique règle de sa conduite : il ne rêve que de recommencer l’épreuve. Il se fait des félicités légitimes une image délicieuse : il avait l’âme conjugale. Son journal et sa correspondance sont remplis de projets de mariage parmi lesquels il en est de saugrenus et dont au surplus aucun n’aboutit. Il s’adresse à tous les échos, demandant une femme. La liste des candidates est longue et variée : Julie Talma, femme divorcée du grand tragédien ; Mme Lindsay, quarante ans et mère de deux enfans naturels ; Amélie, « trente-deux ans, point de fortune, et des ridicules que l’âge a consolidés » ; Antoinette, « vingt ans, de la fortune et point de ridicules, commune de figure et n’a rien de français ; » Rosette, qui malheureusement est laide ; Adrienne, qu’il est dans la nécessité de refuser, bien que sa tante la comtesse de Nassau lui promette une fortune considérable. — Pour ce qui est de sa conduite envers Mme de Staël, elle est assez connue sans que nous ayons besoin d’en recommencer l’histoire.

Cependant, au cours d’une lettre datée de 1800 il s’informe de ce que peut être devenue une Mme de Mahrenholtz ou de Hardenberg qui doit avoir trente et un ans. Quatre ans plus tard le journal intime mentionne une lettre d’elle lui annonçant qu’elle vient de se remarier avec le général Dutertre que Benjamin à ce propos n’hésite pas à traiter de sot. Bientôt après il la rencontre et reste indifférent. Il la revoit à Paris en 1806. Charlotte devient sa maîtresse. « Journées folles, délices d’amour ! que diable cela veut-il dire ? Il y a douze ans que je n’ai rien éprouvé de pareil : c’est par trop fou ! » Poussez jusqu’au paragraphe