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quel ton rogue nos confrères d’au-delà des Alpes parlent de nos ingestions inconvenantes dans des questions qui ne nous regardent pas. Heureusement, on est moins susceptible dans les autres pays, sans quoi il serait tout à fait impossible de parler de politique étrangère. Ni l’Allemagne, ni l’Autriche, ni l’Angleterre ne se préoccupent de savoir si on leur donne des conseils : elles se sentent assez grandes et assez sûres d’elles-mêmes pour ne pas s’en offenser, et n’en prendre d’ailleurs que ce qui leur convient.

La presse italienne est vraiment, depuis quelques jours, de bien méchante humeur à notre égard : elle va même jusqu’à attaquer les deux ambassadeurs que nous avons à Rome, l’un auprès du roi, l’autre auprès du pape, et cela dans des termes que nous nous abstiendrons de qualifier. Elle oublie que M. Lefebvre de Béhaine et M. Billot sont les hôtes de l’Italie. Il arrive quelquefois à certains de nos journaux de dépasser la mesure lorsqu’ils parlent des gouvernemens étrangers : c’est une habitude qu’ils ont prise en parlant du leur. Mais à coup sûr aucun journal français n’a jamais fait contre les choses et les hommes d’Italie une campagne aussi violente et aussi prolongée que celle de la Tribuna, par exemple, contre les hommes et les choses de France. On a le bon esprit, chez nous, de ne pas attacher d’importance à des articles de journaux : sans cela, il y a longtemps que nos rapports seraient devenus impossibles avec l’Italie, car, si nous avons eu quelques torts envers elle, nous n’avons eu certainement ni les premiers, ni les plus graves. Il serait facile d’énumérer nos griefs ; mais à quoi bon ? Les uns s’appliqueraient aux journaux, les autres au gouvernement italien lui-même, qui a rompu brusquement les traditions courtoises établies de part et d’autre sur la frontière, et envoyé les instructions en vertu desquelles le capitaine Romani a été arrêté. Qu’il y ait en tout cela des intentions peu bienveillantes à notre égard, rien n’est plus certain : nous aimons mieux ne pas les relever. Le gouvernement italien traverse une crise où il ne conserve peut-être pas tout son sang-froid. On nous interdit de nous en apercevoir, ou du moins de le dire ; soit ! Mais si nous ne le disons pas, on ne s’en gêne pas ailleurs : à nous seuls cela est défendu. Les journaux allemands et autrichiens écrivent en toute liberté les choses les plus désobligeantes sur l’Italie et sur son premier ministre, à tel point que, dans la presse européenne, la nôtre se distingue finalement par sa modération. Mais à Rome on ne voit que nous ; on ne lit, on n’entend que nous ; ce qui, à un certain point de vue, ne laisse pas d’être flatteur.

Est-il exact que le brusque rappel de M. Ressman se rattache à cette situation ? Nous ne saurions prendre au sérieux les motifs qui ont été donnés, de cette décision, dans la presse italienne : elle a accusé spécialement deux de nos journaux, choisis parmi les plus graves, d’être coupables de tout le mal ; elle a même reproché à M. Ressman de les avoir