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que les réceptions intimes, en Espagne, et les visites même, sont plus rares que chez nous. A six heures, à sept heures, à huit heures du soir, l’animation est égale. Le moment du dîner ne fait aucun vide appréciable dans les rangs des promeneurs. La brise commence à souffler, et les éventails continuent leur conversation muette d’un groupe à l’autre. On se promène encore quand les premières fusées éclatent au bord de la mer. Ah! les jolies fusées! Chacune d’elles en fait deux en passant sur la baie, chaque étincelle crée une étoile. Le feu d’artifice dure deux heures. Dans les intervalles, en me retirant un peu de la fenêtre, je n’entends plus que la poussée régulière du flot qui s’étale sur la plage et couvre le murmure des voix ; je n’aperçois plus qu’un ciel profond, immense, au-dessus de la mer et des campagnes montueuses mêlées dans le bleu de la nuit ; et je me croirais loin de toute ville, dans une de ces fermes entrevues ce matin, qui vont clore leurs volets au vent plus frais qui souffle, s’il n’y avait devant moi, ancré au centre de la baie, un croiseur de l’État dont le phare électrique fouille les plis de la côte, et, se fixant enfin sur le palais de la Reine, le heurte d’une barre de lumière qui le partage en deux, et qui s’élève et s’abaisse au rythme du roulis.


II. — SUR LA PLAGE. — LE 7e D’ARTILLERIE DE FORTERESSE. — LA FETE EN L’HONNEUR DES OFFICIERS FRANÇAIS.


13 septembre.

Dès le matin, les couples de bœufs qui traînent les cabines de bains sont descendus sur la plage, et ont commencé à remonter les petites boîtes à rayures brunes, bleues ou rouges. Pendant une demi-heure, je n’ai vu que cette promenade des bons bœufs roux, attelés à leurs guérites, qu’ils tiraient avec le même effort apparent et la même placidité qu’ils mettent à traîner la charrue. Une servante s’est baignée dans l’eau, frangée à peine d’écume blanche. Elle y est restée longtemps, riant d’être libre, battant la mer de ses deux bras superbes. Quand elle est sortie, les jambes nues, vêtue d’une jupe écarlate et d’une chemise et ses cheveux noirs dénoués, elle avait l’air de la Jeunesse qui vient. Elle s’est arrêtée au bord, elle a renversé un peu la tête pour regarder toutes ces maisons de riches, dont les miradors vitrés étincelaient au soleil nouveau, ses yeux noirs ont cessé de sourire, elle a repris conscience de la vie, et je ne l’ai plus vue.

Alors, les baigneurs de la société élégante sont arrivés. Les hommes se baignent à gauche, les femmes au milieu de la plage. Elles sont les plus nombreuses, enfans, jeunes filles, matrones