Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/616

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dominer. Il les domina aussitôt, d’ailleurs, car il gravit les marches de bois sans que ses pieds nus tremblassent. Son attitude était si ferme, si simple, si parfaitement digne, même dans l’infamie du supplice, que le silence se fit parmi ces rudes spectateurs. Au-dessous de la sinistre corde, toujours immobile, une planche était ménagée, posant sur le vide, et attachée d’un côté par des lanières de cuir à cet échafaud lui-même. De l’autre elle tenait par une charnière à une des deux poutres de la potence. Seymour marcha jusqu’à cette planche. Le shériff lui lia les jambes et les pieds, lui passa au cou le nœud coulant qui terminait la corde, et après lui avoir enveloppé le visage d’un voile noir, il se retira sur la plate-forme de l’échafaud pour lui demander :

— Qu’avez-vous à dire, Henry ?

— Rien, capitaine, répondit le condamné sans que le voile noir bougeât, tant l’homme était tendu à se montrer calme.

— Dites : « Seigneur souvenez-vous de moi dans votre royaume… » cria une voix forte à côté de moi, celle du colonel.

— Seigneur, souvenez-vous de moi dans votre royaume, répéta la voix toujours zézayante du mulâtre. Puis, après un silence : « Je suis prêt maintenant. I am all right now, » et avec beaucoup de fermeté : « Adieu, capitaine. Good bye, captain, » ajouta-t-il en s’adressant au shériff : Good bye, every body et avec un accent plus doux : Good bye, colonel.

Tous instinctivement nous répondîmes, et moi comme les autres : Good bye, Henry, et le colonel plus haut que les autres : Good bye, my boy. Il répéta : Good bye, my boy ; et à cette seconde même le shériff, d’un coup de hache, trancha la lanière de cuir qui assurait la planche. Elle tomba sous les pieds du patient qui fut précipité de la longueur de son corps. J’avoue que je détournai la tête pour ne pas voir l’horrible chose. Quand je regardai de nouveau, le cadavre pendait, inerte, à l’extrémité de la corde tendue. Le cou avait été brisé net. Il y avait sur toutes les faces des spectateurs une expression singulière et indémêlable. Tous se taisaient, tandis qu’au dehors se faisaient entendre les mêmes cris, les mêmes sifflets, les mêmes rires que nous avions écoutés avec dégoût, Mr. Scott et moi, de l’intérieur de la prison. C’était la foule de la rue, à qui l’on avait ouvert les portes de l’enclos pour qu’elle pût voir le cadavre et constater la mort.

— Tenez-vous tranquilles, gentlemen, cria le shériff, d’une voix qui domina cette rumeur : le médecin écoute si le cœur a cessé de battre.