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« La connaissance d’un objet donne d’abord à notre entendement une certaine impulsion et stimule son activité dans une certaine direction, mais immédiatement une impression contraire lui vient d’une autre qualité de ce même objet et imprime à cette activité, avec une assez forte secousse, la direction contraire. » On le voit, ce n’est, avec plus de précision seulement, que la théorie commune du contraste. C’est toujours le contraste entre deux objets ou deux idées qui fait rire; seulement, pour Dumont, le contraste n’est pas quelconque : c’est une contradiction logique.

Il est incontestable que beaucoup de contrastes sont risibles. Dans une parodie, l’effet comique est produit par le contraste entre la gravité de l’œuvre originale et l’irrévérence du travestissement. Dans une naïveté d’enfant, ce qui nous fait rire, c’est le contraste entre la portée du mot et la candeur de celui qui le dit. Certaines transpositions font rire pour une raison analogue : une tragédie traduite en style trivial, une aventure cornélienne caricaturée en scène bourgeoise, les sentimens sublimes exprimés en argot parisien, l’héroïsme sur le ton pot-au-feu; certaines conférences de M. Sarcey, sont, à ce point de vue, d’un comique irrésistible. Le clown qui s’élance, grisé d’enthousiasme, pour imiter l’écuyère, et qui s’aplatit lourdement sur le sol, cause le rire en provoquant une impression forte et grossière de contraste.

Mais il y a beaucoup de contrastes qui n’ont rien de risible. Le couac d’un chanteur, dans la plupart des cas, est tout simplement pénible : c’est pourtant un effet de contraste. La vue d’un corps difforme, surtout auprès d’autres corps sains et bien faits, n’égaie pas. Mettez du noir sur du blanc : vous ne rirez pas. Au lieu du clown, si c’est l’écuyère elle-même qui tombe, le contraste entre sa chute et sa voltige de tout à l’heure est très net : pourtant aucune envie de rire. Un mot qui, en lui-même, serait plaisant, précisément s’il est prononcé dans des circonstances solennelles avec lesquelles il fait contraste, cesse de l’être : rien d’insupportable comme un compagnon facétieux quand on est recueilli dans l’admiration ou dans la tristesse. — Tout ce qui détonne fait contraste, et pourtant ne fait pas rire.

Même sous la forme plus précise que lui a donnée Dumont, la théorie est contestable. Il arrive souvent que deux idées contradictoires se présentent ensemble à notre esprit, sans que nous ayons envie de rire. L’escamotage nous fournira encore un exemple très concluant : l’escamoteur prend un œuf dans sa main ; nous le voyons clair comme le jour, dans cette main il y a un œuf. Elle se rouvre : plus d’œuf, un oiseau vivant, Voilà un cas très net