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importance. Pétrifiée dans ses institutions théocratiques, incapable elle-même d’évolution progressive, l’Égypte n’en a pas moins été l’institutrice des deux grandes religions qui ont fait la civilisation occidentale ; c’est dans l’enseignement secret de son puissant sacerdoce que les initiateurs de la Judée et de la Grèce ont trouvé la lampe des principes dont la flamme, avivée par leur inspiration personnelle, répandue en torches ardentes par des races plus jeunes, devait inonder le monde de lumière. L’idée monothéiste et la règle morale, clef de voûte de l’édifice de Moïse, des prophètes et d’Israël, étaient enseignées depuis des siècles dans les sanctuaires d’Ammon-Râ. Les idées dominantes de la cosmogonie des Grecs sont contenues dans celle des Égyptiens. Leur doctrine sur l’âme et sur la vie ultérieure, leur conception des rapports de l’homme et de la divinité, se rattachent aux mystères d’Isiset d’Osiris.

Historiquement l’Égypte est donc le sanctuaire des principes qui renferme l’arche des idées mères et des symboles générateurs. Saluons en elle l’aïeule vénérable du monothéisme judaïque comme du polythéisme grec. Les deux fleuves de connaissance qui coulent séparés en ces deux civilisations, mais qui par un immense circuit tendent à se rejoindre aujourd’hui, à savoir : la religion monothéiste etla conscience moraled’uae part, la science rationnelle et l’art de l’autre, nous apparaissent en Égypte réunies à leur source en une cataracte qui tombe d’un seul sommet, comme le Nil du sein de la déesse Nout.

Ce haut exemple de l’unité primitive de la science et de la religion prend un intérêt palpitant et tout actuel lorsqu’on se rend compte des courans divers qui agitent la pensée con temporaine depuis une dizaine d’années. La lutte entre les deux principes est plus ardente que jamais. Il fut un temps où la religion opprimait la science au nom de l’autorité et de la tradition : aujourd’hui la science victorieuse est près d’opprimer l’âme et l’esprit au nom de l’instinct et de la matière. Aussi la réaction irrésistible a-t-elle commencé. Nous avons entendu la jeunesse attaquer les conclusions désolantes de la science matérialiste, les uns au nom de la liberté du rêve, de l’inextinguible soif de poésie et d’idéal qui fait le fond de l’âme humaine, les autres au nom de la conscience morale, d’autres enfin au nom de l’intuition qui seule perçoit les vérités supérieures. Tous étaient dans leur droit, tous annonçaient la revanche de Psyché. Nous avons vu ensuite les Tolstoï et les Ibsen battre en brèche les conséquences sociales de notre culture purement scientifique. Nous avons vu enfin l’art triomphant de Richard Wagner s’édifier aux incantations de la musique sur les bases d’un idéalisme transcendant, diamétralement opposé aux conclusions de la science actuelle. Aujourd’hui