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épuration s’impose. Le bon citoyen regrette que le Directoire n’ait pas les moyens légaux de le faire ; mais [[qui veut la fin veut les moyens : or, il a été assez prouvé, je crois, que les moyens constitutionnels étaient absolument impraticables ; ceux qui nous condamnent sentent le ridicule qu’il y aurait à soutenir le contraire ; aussi s’en abstiennent-ils. » — C’est toute sa défense. — Il faut proscrire du même coup deux de ses collègues : Lareveillère s’y résout, d’autant plus facilement que l’un d’entre eux est son ennemi Carnot. Il faut s’aboucher pour cette besogne avec le répugnant Barras ; il faut demander un général à Bonaparte, acheter les grenadiers du palais législatif. Le gardien de la légalité soupire, mais il s’abouche, demande, achète. A la vérité, il adresse une touchante exhortation à ce soudard d’Augereau; il lui recommande « de sauver la république sans ensanglanter la patrie, s’il veut être inscrit au temple de mémoire. » Et il le lance sur le temple des lois, et il déporte à Sinnamary les plus honnêtes gens du monde.

Le plus beau, c’est la véhémente indignation que ce même homme ressent, deux ans après, contre son imitateur du 18 brumaire. Il ne se dit pas un instant que brumaire est la répétition de fructidor, ni plus illégale, ni plus sanglante: Bonaparte au lieu d’Augereau, voilà toute la différence. Et une école nombreuse juge comme Lareveillère ; elle a comme lui deux poids et deux mesures pour deux actes identiques ; un silence approbateur sur fructidor, des imprécations sur brumaire. L’historien impartial cherche la raison d’un traitement si inégal; il n’en trouve qu’une : le 18 fructidor ne fit que changer la forme du désordre, qu’il soit amnistié ! le 18 brumaire fit de l’ordre, qu’il soit anathème!

Le triomphateur de fructidor n’attendit pas jusqu’à brumaire pour subir la loi du talion. Son complice Barras, Sieyès et Merlin le chassèrent au 30 prairial. On ne lui fit pas l’honneur d’un coup d’État; une simple crise. Cette fois encore, Lareveillère se drape noblement dans son récit ; il nous dit sa résistance héroïque, le trouble et la confusion de ses persécuteurs : « J’accordai enfin aux larmes et aux prières ce que la menace et le danger n’avaient pu m’arracher... Ils me remercièrent avec la plus vive reconnaissance. » Toujours est-il qu’il prit son portefeuille et sortit du Luxembourg comme il y était entré, sans bruit, sans faste, et sans un sou, disons-le à l’honneur de sa rigide intégrité. Il retourna chez ses amis du Jardin des Plantes.

Constituant, conventionnel, directeur, après les journées données aux luttes de l’Assemblée ou à l’apparat du pouvoir, Lareveillère avait gardé l’habitude de se rendre le soir chez Thouïn, le célèbre naturaliste. Une petite société de savans se réunissait