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dire vrai, est un peu différente de celle de leurs confrères de Hollande : moins simple, moins aisée, témoignant comme d’un effort incessant à éviter toute expression d’origine française. Mais souvent ce travers est racheté par des qualités de mouvement et de passion qui ne se retrouvent pas au même degré dans l’œuvre des auteurs hollandais.


Toujours est-il que la littérature hollandaise apparaît aujourd’hui comme l’une des plus vivantes qu’il y ait en Europe. Lentement, tranquillement, elle poursuit sa route, sans se soucier de l’ignorance où nous la tenons. Et elle offre encore ce trait particulier, qu’elle est avant tout une littérature de poètes, que la poésie y occupe, ainsi qu’il convient, la première et la plus belle place. De tous les auteurs hollandais contemporains, les plus connus, les plus admirés sont en effet des poètes : et ce sont en effet les plus remarquables.

Ce sont aussi, malheureusement, les plus difficiles à faire connaître en dehors de leur pays. Ni M. Gorter, ni M. Kloos, ni M. Fritz van Eeden, ne peuvent espérer de voir jamais leurs poèmes appréciés chez nous. Mais je voudrais tout au moins dire quelques mots d’une jeune femme qui les dépasse encore en renommée, et qui est assurément, à l’heure présente, la figure la plus curieuse de toute la littérature hollandaise.

Elle s’appelait jusqu’au printemps passé Mlle Hélène Swarth, et c’est sous ce nom qu’elle a publié ses premiers recueils. Elle porte aujourd’hui un autre nom, ayant épousé M. Lapidoth, un critique d’art connu surtout pour ses études sur les peintres et graveurs français. Mais depuis de longues années déjà elle a senti, et traduit dans ses vers, la tragique puissance de l’amour. Toute son œuvre n’est, à dire vrai, qu’un chant d’amour ; mais un chant magnifique, éclatant de passion, avec une incomparable richesse d’harmonies et de nuances. D’instinct et sans trace d’effort, Mme Swarth-Lapidoth est parvenue à un très haut degré de maîtrise poétique. Ses sonnets ont une pureté de lignes, une noblesse d’allures, une aisance et une élégance que leur envieraient les plus impeccables de nos parnassiens. Et sous cette forme toute classique, on sent battre un cœur de femme frémissant de passion. Mais on dirait que la passion, dès qu’elle pénètre dans ce cœur, y revêt aussitôt un somptueux appareil d’images poétiques; et la plupart des sonnets de Mme Lapidoth ne sont ainsi que le développement suivi d’un symbole, exprimant un ordre déterminé de sentimens ou d’idées.

Voici, traduits aussi fidèlement que possible, deux de ces sonnets. Je les prends dans une série que vient de publier la plus considérable des revues hollandaises, le Gids, d’Amsterdam :