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I

Je rêve dans les bras de ta douce compassion, — inconsciente et confiante comme un enfant qui dort sur le sein de sa mère, — oubliant que ta bouche a sucé le venin de la vie, — le venin du mensonge qui coule dans mes veines.

Ma foi naïve et pieuse s’agenouille devant toi ; — mon amour te suit, frêle et doux comme un agneau ; — ma volonté se fond sous la chaleur de ton regard; — et le calice de tes lèvres assoupit ma douleur.

C’est pourquoi je veux parer de guirlandes de lys — l’autel d’argent que je t’ai élevé dans la chapelle de mon cœur, — et y faire monter, blanche et odorante, la fumée de ma dévotion.

Je veux l’asperger de l’eau sainte qui jaillit de mes vers; — et, levant mon cœur flamboyant dans mes mains tendues vers le ciel, — je veux l’appeler Emmanuel, mon Maître et mon Sauveur!


II

Rappelle-toi mes paroles dans cette heure sacrée : — « Pour toi c’est la floraison du printemps, pour moi depuis longtemps plus de fleurs printanières! — La tempête ne convient pas à la claire matinée. — Pourquoi vouloir t’unir à moi, qui ai subi de si cruelles tempêtes?

« Déjà, tandis que toi, heureux de vivre, — tu mêlais la fraîcheur des roses au noir de tes cheveux, — déjà la douleur a mêlé des fils d’argent à mes tresses blondes. — Pourquoi me tenter? Cette joie ne saurait être pour moi! »

Mais le baiser de ta bouche, où se joignaient la caresse de ta voix — et la douce musique d’un tendre serment, étouffa mon doute; — et transportée, éperdue, je tombai dans tes bras, et fus ta fiancée.

Lumière de ma vie, crépuscule consolateur, — je t’en supplie, n’oublie pas le sentiment qui m’a inspiré ces vers, — et laisse-moi ton amour, encore que toute joie m’ait fuie à jamais!


Mais il en est décidément des poètes hollandais comme de tous les poètes : le charme propre de leurs vers est intraduisible. On ne saurait imaginer combien, dans leur texte, ces deux sonnets de Mme Lapidoth ont de couleur et d’accent. C’est que leur beauté ne vient pas tant de l’émotion qu’ils expriment, ou des images, ni du rythme, que de l’admirable harmonie de tout cela, de la concordance parfaite des images avec les idées, et de la forme avec le fond.


La littérature hollandaise contemporaine est d’ailleurs si imprégnée de poésie, et le souci de la forme y joue un rôle si considérable, que les romans, tout aussi bien que les vers, perdraient une grande partie de leur charme à être traduits dans une autre langue. Je ne crois pas, notamment, qu’une traduction puisse jamais nous faire apprécier à leur vraie valeur les romans de M. Louis Couperus, qui me parait bien