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On sait par ses œuvres antérieures quel est le goût de M. Coppée au théâtre. Ce Parisien de race, tour à tour sentimental et gouailleur, affectionne les grandes machines dramatiques où il y a de nobles vieillards, de purs héros, des sentimens pathétiques et des situations extraordinaires. Contraste facile à expliquer. Le gamin de Paris raffole des choses du théâtre, surtout de celles du drame ; il est, dans son poulailler, naïf et gobeur, et tout à fait « bon public ». M. Coppée jusqu’ici s’en tenait à Hugo. Severo Torelli, tout plein de réminiscences, était comme un « répertoire » du drame romantique. Cette fois il est remonté jusqu’à Corneille. Visiblement il s’est efforcé d’emprunter aux maîtres de notre XVIIe siècle leur conception du théâtre. On s’en aperçoit dès les premières scènes. Pour la Couronne débute par une exposition coulée dans l’ancien moule et qui se conforme au précepte de Nicolas Boileau. On nous donne les quelques renseignemens dont nous avons besoin et qui d’ailleurs se réduisent à très peu de chose. Il nous suffit de savoir que nous sommes chez une petite peuplade des Balkans au temps de la guerre sainte contre les Turcs. L’histoire ne tient aucune place dans ce drame ; elle n’y est que pour servir de vague décor et n’a d’autre utilité que de nous dépayser, de nous entraîner hors de la vie moderne et loin des « états d’âme » du boulevard. Il n’y a rien ici qui ressemble à la fameuse couleur locale. On n’a pas voulu reconstituer les mœurs d’une époque et peindre les âmes du XVe siècle. Les sentimens qu’on analyse ne sont pas spécialement bulgares ni exclusivement moldo-valaques : ce sont tout uniment des sentimens humains. L’auteur a voulu examiner un de ces cas de conscience qui, à n’importe quelle époque, peuvent se poser à la conscience humaine et appeler une solution immédiate. Il a voulu montrer comment, telles circonstances étant données, deux devoirs s’opposent en sorte qu’il faille sacrifier l’un à l’autre. Cela fait que son drame est, par définition, une tragédie. C’est une pièce comme en écrivait Racine en se demandant: Qu’en eût pensé Sophocle?... Cette ferveur gréco-latine étonnera peut-être, venant de M. Coppée. D’ordinaire il témoigne peu de tendresse à notre éducation classique. Il raille les forts en thème et sourit de nos exercices de rhétorique. Dans les distributions de prix qu’il préside, il recommande l’exemple de ses propres études qui furent, s’il faut l’en croire, détestables. Mais bah ! nous prenons pour ce qu’elles valent ces espiègleries. M. Coppée fait mieux que de louer les auteurs de nos programmes : il les imite. Il ne s’attarde pas à l’opinion de ceux qui pensent que la tragédie classique est un genre mort, et mort depuis deux cents ans. Ce n’est pas moi qui le lui reprocherai. Son œuvre est pour réjouir tous ceux qui ont le « goût » du collège.

Au centre même de toute tragédie il y a une situation maîtresse qui donne à l’ensemble sa signification, où éclate et paraît en son jour