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a compris le contraire, et la suite a prouvé qu’on ne s’était pas trompé.

Depuis, de nouveaux détails sur la crise intérieure qui travaillait le gouvernement ont été portés à la connaissance du public, et, bien qu’ils ne soient pas complets, ils font mieux comprendre les événemens qui se sont succédé coup sur coup. D’autres ministres ont annoncé, dès le premier moment, l’intention de suivre M. Bartbou dans sa retraite, et presque aussitôt le cabinet tout entier a parlé d’imiter cet exemple. Évidemment, la démission est un mal contagieux pire que la peste, car ils en meurent tous quand un seul est frappé. M. le Président de la République lui-même a déclaré à M. Dupuy que, si le cabinet se retirait, il se retirerait aussi : c’était un sauve-qui-peut général. M. Dupuy et ses collègues, sauf M. Barthou, ont repris alors leur démission, et se sont présentés devant la Chambre pour y subir l’inévitable interpellation de M. Millerand. M. Millerand est un des plus farouches ennemis des Compagnies de chemins de fer, et il ne pouvait admettre que le Conseil d’État leur eût donné raison, même si elles avaient raison. Mais aussi, pourquoi être allé devant cette juridiction, qui, après tout, est indépendante ? C’était à la Chambre elle-même qu’il fallait demander l’interprétation d’un contrat douteux. M. Goblet disait hier : « C’est la Chambre qui gouverne : » M. Millerand est d’avis que c’est la Chambre qui juge, ou qui doit juger. Elle réunit, comme on le voit, tous les pouvoirs ; elle est la Convention. L’attitude du gouvernement devant elle a été excellente dans la forme, peu adroite dans le fond, surtout de la part de ministres qui savaient à quel effondrement conduirait un vote défavorable. M. le Président du Conseil a soutenu que l’arrêt du Conseil d’État avait tranché le différend, tout le différend, et qu’il était définitif, — ce qui, à notre avis, est très vrai, mais ce qu’on aurait pu dire avec plus de nuances. Il était d’ailleurs manifeste que tous les collègues de M. Dupuy n’étaient pas de son avis. Aux causes de confusion qui agissaient déjà sur la Chambre est venue s’en ajouter une autre : M. Millerand a demandé qu’une commission examinât s’il n’y avait pas lieu de mettre M. Raynal en accusation, pour crime commis dans l’exercice de ses fonctions. M. Raynal est le ministre qui a signé les conventions de 1883 avec les Compagnies de chemins de fer. II a été le premier à insister, avec beaucoup de chaleur, pour que la commission fût instituée. De sa part, cette attitude était courageuse et légitime, mais la majorité de la Chambre s’attendait à ce que le gouvernement combattit la proposition de M. Millerand. Il n’en a rien fait, et, devant ce silence, la Chambre a décidé qu’elle nommerait une commission. Elle a voté de plus un ordre du jour qui réservait les droits de l’État à l’égard des compagnies de chemin de fer, comme si ces droits n’étaient pas toujours réservés lorsqu’ils existent, et comme si le Conseil d’État n’avait pas décidé qu’ils n’existaient pas dans le conflit qui venait d’être résolu. A la suite de ce vote, les ministres ont