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en plus menaçantes se sont produites dans cette ville. Le prince héritier s’est rendu en uniforme dans une d’entre elles et il a reçu en mains propres une pétition adressée à son père. M. Tricoupis a protesté avec colère, il a accusé le duc de Sparte d’être sorti de la constitution; mais évidemment le jeune prince n’avait pas agi sans instructions, et le roi n’a pas manqué de l’approuver. M. Tricoupis n’avait plus qu’à se démettre, et c’est ce qu’il a fait. Aussitôt le calme s’est rétabli, et le peuple hellène a reconnu dans le roi Georges le représentant fidèle de ses intérêts et de ses vœux. Il y a, comme on le voit, plusieurs moyens de dénouer une crise provoquée par l’impopularité d’un ministre : celui-ci a eu le plus heureux succès.


Deux hommes très différens viennent de mourir aux deux extrémités de l’Europe, le maréchal Canrobert et M. de Giers. C’est un double deuil pour nous. Canrobert était, croyons-nous, le doyen des maréchaux de l’Europe ; il était le dernier des nôtres. La génération actuelle ne l’a connu que vieux et affaissé, mais il avait toujours l’œil ardent, et son âme guerrière continuait de vibrer en lui dans toutes les occasions un peu solennelles. Vaillant, il l’était autant que qui que ce soit dans les plus beaux jours de notre histoire. Ce n’était pas un grand général, mais un grand soldat. Aussi le peuple l’aimait-il comme le dernier représentant de nos anciennes victoires, et aussi de nos cruelles défaites sur lesquelles son courage avait jeté du moins un reflet d’héroïsme : il voyait en lui un glorieux débris de nos armées disparues. Son nom était populaire, et il n’est personne en France qui n’ait été touché lorsque l’amiral Avelane et les officiers de sa suite ont eu l’heureuse pensée d’aller rendre visite à l’illustre vieillard. Nous ne parlerons pas en lui de l’homme politique, bien qu’il ait eu la plus noble des qualités qui est la fidélité. C’est à l’armée, au milieu de ses soldats pour lesquels il avait une affection paternelle, au bivouac et surtout dans le feu de la bataille, qu’il était à sa place, et par momens toute la valeur militaire de la France semblait l’illuminer. La République lui fera des funérailles nationales parce que, en toutes circonstances, il n’a vu que la patrie.

Quanta M. de Giers, la Russie perd en lui un diplomate accompli, celui de tous peut-être qui, dans toute l’Europe, possédait aujourd’hui la plus grande expérience accompagnée du meilleur jugement. Nous ne raconterons pas sa carrière politique : elle est connue, et il y en a pas de mieux remplie. Les débuts en ont été assez lents, mais aussitôt que les regards se sont portés sur lui, ils y sont restés fixés. Son mérite n’éblouissait pas, parce qu’il était naturellement modeste et discret, et ne cherchait pas à se faire valoir : il se contentait de la confiance de l’empereur et de l’estime de l’Europe, et il les a eues tout entières.