Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/741

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faire renoncer à mes vastes projets, et, parmi les plus décidés, mon beau-père, le Très Honorable L. G. T., ambassadeur de Sa Majesté en diverses capitales, homme grave et décent, à qui, ainsi qu’aux autres, les efforts du vice parurent moins redoutables que ceux de la vertu.

« Venu exprès de Rome à Londres où je préparais mon premier voyage de propagande, le Très Honorable avait d’abord commencé par me dire que je m’étais mis entre les mains d’un imposteur et montré, pour preuve, je ne sais quels papiers de police, dont la moindre fausseté était de décrire comme un petit homme replet et sanguin Samuel, qui est pâle autant qu’on peut être, et aussi décharné que je suis moi-même dense et corpulent.

« Mais il était surtout et principalement venu pour m’enlever ma femme et ma fille que j’avais enfin retrouvées. «Ah! me disait ce sage et ce savant, — car il est l’un et l’autre, paraît-il, — songez, monsieur, que votre femme et votre fille auront plus de mal à reprendre avec vous la vie commune qu’elles n’en ont eu d’abord à s’en voir priver. Songez que, si elles veulent bien vous suivre, c’est plutôt par faiblesse et timidité naturelles que par entraînement véritable, et que votre mère elle-même n’est pas tellement de votre côté qu’elle se refuse à les garder chez elle, comme elle a fait déjà, si celles-ci le préfèrent. Croyez bien, d’ailleurs, que, puisqu’elles ne semblent pas avoir le courage de se séparer de vous, mon devoir est d’agir pour elles, et que je mettrai tous mes efforts à les retirer à un père et à un époux qui, après les avoir accablées par son absence, les achève par son retour. »

« Je ne l’ai revu de ma vie, ajouta lord Hyland; mais par leurs paroles et, depuis, par leurs actions, ma femme et ma fille ont, d’elles-mêmes, si bien protesté contre cette insultante démarche que je m’en veux encore de l’espèce de scrupule où cet homme me jeta dans le premier moment. Il me fit un instant songer au divorce qui, en effet, m’eût rendu plus libre dans l’œuvre que j’allais entreprendre, mais m’eût fait manquer d’autre part au salut de deux âmes qu’entre toutes, je devais ramener. »


Or il se trouvait que l’ambassadeur ne m’était pas tout à fait inconnu. Le hasard avait voulu qu’à Rome, je lui eusse été présenté, l’année précédente, par son neveu William, attaché comme secrétaire à ce poste.

Je ne parlai point de sir William, auquel je vais bientôt revenir. Je ne dis point non plus à lord Hyland que le Très Honorable ne me paraissait point si coupable d’avoir, dès le début, essayé de soustraire sa fille et sa petite-fille aux singularités de