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moins inutilement concentré que le sont la plupart de ses compatriotes.

Sir William avait porté à Oxford le bonnet carré surmonté du petit gland d’or des étudians nobles, et pris, dans l’Athènes britannique, ce goût classique qui, pour n’être point naturel aux Anglais, n’en est chez eux que plus violent. Les goûts acquis ne sont pas d’ailleurs les moins forts et, pour être moins spontanés, les fruits qu’ils donnent n’en sont souvent que plus rares et plus savoureux.

Tout ce que les lettres grecques et latines peuvent donner de grâce et de solidité à un jeune esprit éloigné de toute pédanterie, tout ce que le sentiment des arts antiques et de leur païenne renaissance en Italie peut ajouter à la noble sensualité d’un cœur épris de beauté, mon nouvel ami le possédait à un degré que je n’ai rencontré que chez quelques privilégiés, gens discrets et timides, qui parlent peu de ce qu’ils aiment et rougiraient de l’étaler. Sa connaissance intime des auteurs et de tout ce qui s’y rapporte n’était surpassée chez lui que par une éloquence soudaine que la froideur et la correction habituelles de son maintien n’eussent jamais fait prévoir. Il m’apprit ainsi mille choses que j’eusse ignorées ou méconnues sans lui, et devant les chefs-d’œuvre il entretint en moi la flamme divine.


« Mais, hélas! me dit-il dans les derniers temps que nous passâmes ensemble, le passé ne guérit pas du présent. Le rêve et l’étude n’apportent qu’un vain soulagement à un mal sans remède. Les joies de l’intelligence ne consolent que la vieillesse, et comprendre la beauté des choses ou même la sentir ne font encore qu’affliger celui qui aime. Ni les madones, ni les déesses que nous visitons ensemble ne peuvent me faire oublier une forme charmante, ni les glorieux fantômes qu’évoquent les poètes, me distraire d’une autre image, qu’à tout instant mes yeux se représentent.

« Chère image qui, de tout ce que je vois, par comparaison, me désenchante ; vers qui toutes mes pensées et tout ce que je suis s’élancent. O chère âme dès longtemps promise qu’une injuste volonté me refuse. O fiancée dont, sans autre raison que son mauvais caprice, un père insensé m’éloigne et me sépare. Ah! pourquoi notre amour même nous a-t-il empêchés de fuir ensemble et l’honneur défendu ce que les anneaux échangés eussent permis ! »


Il m’avait déjà dit la noble idylle, les liens de parenté, les étés passés dans le même château, les beaux ombrages, et, sous les yeux d’une mère et d’une grand’mère adorablement bienveillantes,