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pourvus de capitaux pour fonder des banques, pour ouvrir de vastes magasins ou monter des manufactures, sans le secours d’associés ? On n’a pas réfléchi qu’en faisant peser sur les sociétés par actions des charges aussi lourdes, on créait, indirectement, une sorte de privilège au profit des grands industriels ou des grands financiers, des ploutocrates et des grosses fortunes. L’égalité devant l’impôt se trouve ainsi violée aux dépens des petits, et cela, par des législateurs assez ignorans ou assez légers pour ne pas apercevoir les conséquences des lois qu’ils votent. Car, avec leurs mesures fiscales et leurs réformes apparentes, ils nous font sans cesse penser, ces législateurs présomptueux, aux idoles du Psalmiste qui ont des yeux et ne voient pas, qui ont des oreilles et n’entendent point.

Nous avons, chez nous, en France, un impôt sur le revenu des valeurs mobilières, impôt récemment encore aggravé, en pleine paix, par la République française[1]. Cet impôt spécial aux valeurs mobilières, que de gens, dans les Chambres ou dans la presse, en méconnaissent le caractère véritable ! Qu’est-ce, en effet, sinon un impôt de superposition qui, en réalité, ne frappe qu’une chose, l’association ; — car industrielles, commerciales, financières, agricoles, les compagnies astreintes à cette charge de surcroît sont d’ailleurs soumises à toutes les taxes, à toutes les contributions, patentes ou autres, acquittées par les entreprises individuelles similaires[2]. Il suffit de mettre une usine, une banque, un magasin, voire une exploitation agricole en actions pour être assujetti à ce nouvel impôt.

Et si grands sont l’ignorance ou les préjugés du public que, non contens de trouver cette taxe sur l’association légitime, nombre de prétendus réformateurs, nombre de soi-disant défenseurs des petits en réclament ingénument l’aggravation, se figurant

  1. Établi en 1872, à la suite de la guerre de 1870, sous la pression de cruelles nécessités, cet impôt, on le sait, a été porté, vingt ans plus tard, de 3 0/0 à 4 0/0.
  2. Pour comprendre la véritable nature de cet impôt sur le revenu des valeurs mobilières, il ne faut pas perdre de vue que ces valeurs, actions ou obligations, ne sont pas des biens par elles-mêmes, qu’elles représentent seulement des biens qui acquittent tous les impôts généraux, nationaux ou municipaux. On a calculé que certaines entreprises, la Compagnie générale des omnibus de Paris, par exemple, payait ainsi en impôts à l’État et à la Ville, non point 4 0/0 sur le revenu de leurs actions, mais jusqu’à 200 ou 300 0/0, soit en 1892, 121 francs ; en 1893, 131 francs de taxes diverses par action, pour un dividende de 40 francs. À la Compagnie des Petites Voitures, l’État et la Ville prélevaient, sur la recette quotidienne de chaque voiture de place, 2 fr. 44, tandis qu’il ne revenait au capital que 11 centimes. (Voir dans le Rapport du Conseil d’administration, avril 1894, p. 38, le décompte des différens impôts.) Ici, je prie le lecteur de calculer à combien s’élève le tant pour cent prélevé par le fisc.