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était un qui n’était pas capable de se résigner aux périls sans avoir mis en œuvre toute son énergie à les combattre. M. Buffet, doué d’une conscience très droite et d’un esprit très délié, savait se frayer, par des chemins imprévus et de subtils moyens, sa voie vers ce qu’il croyait juste et vrai. L’impératrice ne voulait pas déserter son droit en consentant à s’abriter derrière la Chambre, la Chambre ne voulait pas dépasser son droit en modifiant ce pouvoir malgré la régente. Tout restait suspendu à un point d’honneur, et cet honneur attachait tout le monde à sa perte. Il s’agissait donc de prouver que la Chambre avait droit de prendre le pouvoir et que l’impératrice avait le devoir d’y renoncer. M. Buffet n’avait pas oublié que l’empereur, en établissant la régence, s’était réservé plusieurs droits essentiels, entre autres le droit de choisir les ministres. De là M. Buffet tirait la conséquence que la régente n’avait pas les moyens de gouverner : car la captivité rendait l’empereur également inhabile à exercer les pouvoirs qu’il avait gardés et à les transmettre à l’impératrice. A la nation seule, source de tout pouvoir, appartenait de guérir cette paralysie du pouvoir exécutif, et, dans l’urgence des heures, le Corps législatif était le représentant de la nation. Que l’impératrice, par un message à la Chambre, fît connaître l’insuffisance de ses droits et remît entre les mains de la représentation nationale le dépôt d’une souveraineté trop incomplète, le Parlement n’usurperait pas, puisqu’il agirait sur l’invitation de l’impératrice ; il ne déposséderait pas la famille impériale, puisqu’il pourvoirait au présent sur la sommation de nécessités terribles, mais passagères ; il n’engagerait pas l’avenir, puisque à bref délai, le pays serait consulté et statuerait lui-même sur son gouvernement définitif.

A l’issue de la séance, avant de quitter le palais, M. Buffet communiqua cette idée à quelques amis politiques : ils l’accueillirent en hommes qui, dans l’obscurité, voient tout à coup leur route. Le bruit se répandit aussitôt que le moyen de sortir d’embarras était découvert. M. Buffet fut entouré par des députés de tous les partis, prié d’exposer son plan, et obtint le même succès auprès de tous. Fort de cette sympathie, il se rendit auprès du président Schneider. Celui-ci jugea la proposition si opportune qu’il pria M. Buffet de venir le dimanche matin aux Tuileries, et offrit de l’introduire dans le conseil. M. Buffet objecta que sa place n’était pas dans une réunion du gouvernement où il n’était pas convoqué. M. Schneider demanda au moins à M. Buffet et à ses amis de se réunir vers 9 heures à la Chambre et d’y attendre, de façon que, si on avait besoin d’eux, on sût où les trouver. Ils le promirent. Ainsi une dernière et petite lueur de paix s’alluma à l’aube de ce 4 septembre qui déjà blanchissait.