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d’aveuglement. Décontenancé malgré son assurance, il objecta la volonté et les droits de l’impératrice.

Puisque tout dépendait de l’impératrice, les esprits se trouvaient naturellement ramenés à la proposition de M. Buffet. Il se fit autour de celui-ci un concours de députés conservateurs. Ils le prièrent de se rendre aussitôt aux Tuileries, ajoutant qu’il ne s’agissait plus de discrétion, mais de salut, et que, s’il se refusait à porter la vérité où il la fallait faire entendre, il serait responsable des suites. Un appel à la conscience était l’argument le plus décisif qu’on pût faire à M. Buffet. Il demanda à ses amis MM. Daru, de Talhouet et quelques autres de l’accompagner, et vers midi ils partirent pour les Tuileries.

L’impératrice les reçut et écouta M. Buffet avec calme, mais avec le calme d’une résolution prise et qu’elle expliqua dans sa première réponse.

Chargée d’un dépôt dont elle devait compte à l’empereur et à son fils, elle n’avait pas le droit de s’en dessaisir. Et, découvrant à ceux qui venaient lui apporter leur pensée le fond de la sienne, elle ajouta que, soit pour la guerre à poursuivre, soit pour la paix à négocier, son concours restait utile, et que le plus sage serait de se serrer autour du gouvernement et d’opposer au moins à nos maux notre concorde.

M. Buffet lui répondit avec émotion que cette confiance en la régente eût été une force ; mais il avait le devoir de dire qu’elle ne survivait ni dans le pays, ni même dans la Chambre. La seule question désormais posée était de savoir si le gouvernement nouveau serait fait par le Corps législatif ou par l’émeute.

M. Daru ajouta que la plupart des députés, liés par leur serment, ne se sentaient pas le droit de prendre la mesure indispensable, de saisir le pouvoir au nom de la Chambre. S’ils n’étaient pas dégagés de ce scrupule, l’émeute selon toute apparence, allait donner le gouvernement aux ennemis les plus violons de l’empire et de l’ordre. Si, par peur de cette extrémité, le Corps législatif se résolvait à abandonner la dynastie, ce serait une condamnation de l’empire et d’autant plus grave qu’elle aurait été prononcée par ses amis.

C’était la première fois que les faits étaient révélés à l’impératrice par des hommes résolus à ne respecter que son malheur et la vérité. Il y a dans le dévouement sincère un accent auquel il se fait reconnaître, même quand il blesse. L’impératrice apprenait aussi durant l’entrevue, par des dépêches successives envoyées par le préfet de police, et qu’elle tendait ouvertes ci ses interlocuteurs, l’agitation de Paris. Sans doute elle ne se laissa pas convaincre. Qui est jamais disposé à se croire inutile ?