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peu, non sans révolte, devant la réalité des faits. Mais si le débat est clos sur ce point, la question n’en reste pas moins ouverte. Il est clair, en effet, que la polychromie a varié dans ses applications, et que durant les cinq ou six siècles où l’art grec a vécu d’une vie indépendante, les progrès de la technique, ceux du style, ont modifié les règles qui présidaient à la peinture des statues. Le problème qui préoccupe aujourd’hui les historiens de l’art antique est surtout historique. Quelle évolution a subie la polychromie depuis les débuts de l’art grec jusqu’aux chefs-d’œuvre produits par les grands maîtres, tels que Scopas et Praxitèle? Est-il possible d’en marquer les étapes, de déterminer pour chaque période les règles auxquelles se conformaient les peintres de statues? La réponse la plus concluante serait assurément un exposé méthodique des faits observés. Sans prétendre ici à une pareille rigueur, je voudrais essayer de caractériser, à l’aide des témoignages les plus significatifs, les principales phases qu’a traversées la polychromie grecque[1].


I

Pour expliquer l’usage de la polychromie en Grèce, on a souvent fait intervenir les influences de climat, la qualité d’une lumière intense, parfois aveuglante, et qui, aux jours d’été, noie en quelque sorte les formes et les contours. Aux heures plus clémentes, ce rayonnement de lumière semble fait pour ne caresser que des formes colorées, et ce « ciel tout en joie », suivant le mot d’un poète grec, serait comme offensé par les tons froids et blafards dont s’accommodent nos climats. Pour avoir été maintes fois invoqué, l’argument n’en a pas moins gardé sa valeur, et nous reconnaîtrons volontiers qu’un ciel privilégié a fait naître chez les Hellènes, comme chez les Egyptiens et chez les Asiatiques, l’instinct et le besoin de la couleur. Mais la polychromie

  1. C’est Quatremère de Quincy qui, le premier, a abordé méthodiquement l’étude de la polychromie antique, dans le Jupiter olympien (Paris, 1815). On a beaucoup écrit sur la question, et pour les travaux anciens nous devons renvoyer à la bibliographie donnée par M. Sittl, ArchäoLogie der Kunst, p. 414, dans le Handbuch der klassischen Altertums-Wissenschaft d’Iwan von Müller, Munich, 1895 , Nous citerons seulement quelques-uns des travaux d’ensemble les plus récens : Georg Treu, Sollen wir unsere Statuen bemalen? Berlin, 1884. — Blümner, Technologie und Terminologie der Gewerbe und Kunste bei Griechen und Römern, III, p. 200 et suivantes. — Th. Alt, Die Grenzen der Kunst und die Buntfarbigkeit der Antike, Berlin, 1886. — Geskel Saloman, Ueber vielfarbige und weisse Marmorskulptur, Stockholm, 1891. — Th. Ballorn, Die Polychromie in der griech. Plastik, Zeitschrift für bildende Kunst de Lützow, 1893. — E. Robinson, Did the Greeks paint their sculptures? The Century, New-York, 1891-1892. Les articles spéciaux seront cités plus loin.