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dans tout l’éclat de sa riche polychromie métallique.

Quittons ces périodes obscures pour arriver à d’autres encore bien lointaines, mais qui nous ont laissé des témoignages irrécusables, c’est-à-dire des monumens. Dans le courant du VIIe siècle avant notre ère, la sculpture grecque commence à mettre en œuvre des matériaux plus durables que le bois. Certaines écoles privilégiées travaillent déjà le marbre de Naxos ou de Paros; mais dans la Grèce continentale, les sculpteurs s’en tiennent aux diverses variétés de la pierre tendre : d’abord un calcaire friable, semé de coquilles, creusé de trous ; plus tard, avec les progrès de l’outillage, et un choix plus éclairé des matériaux, une pierre d’un grain plus serré et plus résistant. L’étude qu’on peut faire aujourd’hui de cette sculpture primitive porte sur un nombre déjà considérable de monumens. Depuis les métopes de Sélinonte, jusqu’aux sculptures, récemment découvertes à Delphes, du trésor des Sicyoniens, on en citerait de nombreux exemples. Les frontons de tuf sculptés en relief ou en ronde bosse, trouvés, de 1882 à 1888, dans les fouilles de l’Acropole d’Athènes, occupent dans cette série une place d’honneur[1].

Si la sculpture sur bois commande déjà l’emploi de la peinture, la sculpture en pierre tendre l’exige également comme un complément indispensable. En travaillant cette matière friable, qui cède si facilement sous le ciseau, le sculpteur ne saurait chercher tout le détail des formes qui constitue le modelé. Et le voulût-il, en eût-il le talent, ni l’outillage ni la qualité de la pierre ne le lui permettraient. On l’a dit avec beaucoup de raison, les monumens eux-mêmes attestent l’insuffisance des outils maniés par les artistes primitifs : c’est toujours la scie et la gouge, qui servaient aux « imagiers » pour fabriquer leurs idoles de bois. Qu’un sculpteur du VIe siècle taille dans la pierre une statue ou un fronton ; croira-t-il son œuvre terminée quand il aura modelé sommairement de larges surfaces planes, et creusé le calcaire avec la gouge pour figurer les boucles d’une chevelure ou les plis d’une draperie? L’œil sera choqué par les défauts de la pierre, par l’aspect rugueux et inégal qu’elle présente. Il faudra que la peinture joue encore ici son rôle, dissimule les imperfections de la matière, rehausse le travail et donne à la statue son aspect définitif. Dans de telles conditions, la polychromie doit être aussi complète que possible, et c’est bien ainsi que nous la montrent les monumens, en particulier les frontons de l’Acropole, où la couleur, répartie sur toutes les parties sculptées, les couvre de

  1. Ils ont été l’objet d’une étude très détaillée de M. Lechat, les Sculptures en tuf de l’Acropole d’Athènes, Revue archéologique, 1891.