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à leur égard, Rousseau a perdu beaucoup plus que Voltaire. Les œuvres de celui-ci sont plus accessibles, plus avenantes. Les esprits qui vont naturellement à lui comme à un maître, à un modèle, sont beaucoup plus nombreux que ceux que Rousseau attire. La pensée et l’érudition françaises sont aujourd’hui plus que jamais la pensée et l’érudition parisiennes : or, Voltaire est beaucoup plus parisien que Jean-Jacques. La faveur du public et celle des chercheurs se sont ainsi beaucoup plus attachées à Voltaire qu’à Rousseau. Aussi n’y a-t-il pas lieu de s’étonner si, dans les recherches et les travaux qui ont été publiés depuis vingt ans, il se trouve que la vie et les œuvres de Voltaire ont été beaucoup plus étudiées et beaucoup mieux que celles de Rousseau. Dans les publications dont ce dernier a été l’objet, il n’y a rien de comparable aux travaux où MM. Desnoiresterres, Moland et Bengesco ont tant ajouté à ce que nous connaissions de la biographie, de la correspondance, et de la bibliographie de Voltaire.

Les érudits parisiens ont fait peu de chose pour Jean-Jacques; presque toutes les recherches nouvelles dont il a été l’objet sont venues de ces pays de frontière qu’il a longtemps habités, et qui vont des Charmettes à l’île de Saint-Pierre. C’est dans la Suisse française et la Savoie qu’on s’est appliqué à élucider les points obscurs de sa vie, et à mettre au jour les documens inédits qui pouvaient compléter les renseignemens déjà connus.

Les papiers que Rousseau avait confiés à son ami Du Peyrou, et que celui-ci a légués à la bibliothèque de Neuchâtel, avaient été dépouillés, en 1834, par M. Ravenel; ils ont aussi fourni la matière de deux ou trois volumes, publiés par M. Streckeisen, il y a trente ans. D’autres chercheurs sont encore venus, qui ont remué à nouveau ces dossiers, et y ont fait chacun quelque butin. M. Fritz Berthoud a retrouvé et publié les pièces relatives aux démêlés de Rousseau avec le pasteur de Montmollin. Un savant exact et soigneux, M. Albert Jansen, a écrit deux volumes sur Rousseau musicien et Rousseau botaniste, et il a laissé peu de chose à glaner à ceux qui voudront traiter après lui ces deux chapitres de la biographie de Jean-Jacques ; il a publié aussi de curieux documens qu’il a trouvés aux archives de Berlin et qui datent du séjour de Rousseau dans la principauté de Neuchâtel, entre autres, les dépositions de Rousseau et de Thérèse Le Vasseur, écrites sous leur dictée, au lendemain même de ce qu’on a appelé la lapidation de Motiers.

Jean-Jacques n’a fait que traverser le pays de Vaud, et sur les anciens registres de la contrée, on n’a pas eu l’occasion de mentionner