Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/888

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le nom du jeune voyageur, qui passait inconnu sur les bords du lac Léman; mais à Lausanne, à Vevey, dans ces jolies villes où Mme de Warens a vécu pendant sa jeunesse, il était intéressant de suivre les traces qu’elle avait laissées ; et le savant distingué qui s’y est appliqué a fait des trouvailles inattendues.

Les archives de Genève ne pouvaient pas être négligées dans cette chasse au document. L’archiviste, M. Louis Dufour-Vernes, a étudié surtout la parenté et les ancêtres de Jean-Jacques. Comme un botaniste qui détache du sol une plante avec précaution, en ayant soin qu’elle ne perde aucune des fibrilles de ses racines, il a tiré des archives genevoises tout l’arbre généalogique de Jean-Jacques Rousseau ; et le tableau qu’il a ainsi dressé a beaucoup de variété et de vie. Chaque famille y a son caractère et sa tenue propre, et chaque couple sa chronique. Les documens d’archives semblent incolores à première vue ; M. Dufour-Vernes a su si bien en tirer parti, éclairer les textes et diriger les regards du lecteur sur les points lumineux, que les couleurs effacées semblent reparaître au jour.

En Savoie, pendant de longues années, la vie de Jean-Jacques a été liée à celle de Mme de Warens comme la vigne à l’ormeau. L’amie de Rousseau, à cette époque de leur existence, attirait les regards plus que le jeune protégé qui vivait à son ombre ; on a trouvé beaucoup de lettres d’elle, point de lui ; mais les érudits qui se sont attachés à suivre Mme de Warens dans les vicissitudes de sa carrière et jusqu’à sa triste fin, ont utilement travaillé pour celui qui donnera un jour une édition critique des Confessions.

Au milieu de tous les sujets de recherches qui ont ainsi fourni matière à quelques gros volumes et à beaucoup de petits mémoires, œuvres de savans très estimés de leurs confrères et trop inconnus du grand public, il y a deux points qui sont particulièrement dignes d’attention : les racines du caractère de Rousseau et l’origine de ses idées. En parlant des études de Jean-Jacques aux Charmettes, nous aurons l’occasion de traiter le second point. Nous allons voir maintenant ce qu’on peut tirer, pour éclairer le premier, des découvertes qu’on a faites sur la parenté de Rousseau, ses ancêtres français et les réfugiés dont il descend, de l’histoire de sa famille pendant deux cents ans, et de quelques anecdotes, jusqu’à ce jour inconnues, sur son père et sa mère.


I

A l’époque de la naissance de Jean-Jacques, sa famille était établie à Genève depuis cinq générations. Elle était venue de