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jour-là rien à faire. » Il disait aussi : « M. Comte croit que l’humanité se nourrit exclusivement de science, que dis-je? de petits bouts de phrase comme les théorèmes de géométrie, de formules arides ! » Et je sais bien que Renan n’était pas un savant, ni même un esprit scientifique. Si je l’avais pu croire, ses meilleurs amis, ses plus sûrs confidens se seraient chargés de me détromper ! Ainsi tombent nos illusions ! Non, Renan n’était pas un savant, et il n’avait pas le droit de parler au nom de la science. Voilà qui est, comme l’on dit, désormais acquis au débat, et je ne suis pas fâché, pour ma part, d’avoir obtenu cet aveu. Ce qui n’empêche, après cela, que lorsqu’il signalait ce premier danger d’une éducation purement scientifique, il avait raison, et, sur ce point au moins, je partage entièrement son avis.

Vérités métaphysiques, vérités morales, vérités historiques, esthétiques ou critiques, si je puis ainsi dire, il y a des vérités que les méthodes scientifiques ne peuvent pas atteindre ; et, encore une fois, je le répète, pourquoi faut-il que ce soient justement les vérités qui nous intéressent ou qui nous importent le plus ? Définissons exactement les termes : il n’y a de science à proprement parler que de ce qui se compte ou de ce qui se pèse; et ainsi, tout ce qui ne se pèse pas, tout ce qui ne se compte point, n’étant pas du domaine de la « science », la critique ou l’histoire ne sont pas des « sciences ». Leur objet cependant, ou leur matière, si l’on veut, n’en existe pas moins, n’en est pas moins une réalité tout aussi substantielle, et en tout cas plus « humaine » que la matière de la physique ou de la chimie même. Je ne pense pas avoir à le prouver. Pour les vérités morales, nous aurons beau nous inspirer de l’histoire naturelle ou de la physiologie, nous ne tirerons pas de la « nature », ni par conséquent de la « science », un atome de dévouement. Et quant aux vérités métaphysiques ou, si vous l’aimez mieux, quant à cette inquiétude, cette angoisse de l’inconnaissable, dont la « science » se raille, ou qu’elle nie, ce doute fécond, qui est le titre d’honneur ou de noblesse de l’humanité, si vous voulez savoir ce que c’est qu’une civilisation sans métaphysique, étudiez la Chine! L’angoisse métaphysique n’a jamais tourmenté les fils de Confucius ; mais aussi ce sont les Chinois! Je dis donc que le grand danger d’une éducation purement scientifique est, avant tout, dans son indifférence ou dans son incompétence à l’égard de ces vérités.


….. Quæ
Desperat tractata nitescere posse, relinquit !


Elle néglige, — quand elle ne se donne pas des airs de le dédaigner,