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grand poète saluant Muse et presque Déesse sa jeune collaboratrice. Quelquefois, lui écrivait Hugo,


Quelquefois, quand l'esprit vous presse et vous réclame.
Une musique en feu s'échappe de votre âme,
               Musique aux chants vainqueurs.
Au souffle pur, plus doux que l'aile des zéphires,
Qui palpite et qui fait vibrer comme des lyres
                Les fibres de nos cœurs.


Voilà comment la poésie chantait le talent de Mlle Berlin. Et voici comment l'analysa la critique ; critique indulgente et critique de l'époque, s'il en faut croire le style de ce curieux morceau. On lit dans le Dictionnaire biographique de Fétis : « Mlle Berlin puisa de bonne heure le goût des arts dans sa famille, où les peintres, les musiciens et les gens de lettres les plus célèbres venaient avec plaisir, parce qu'ils y étaient reçus avec cordialité. La peinture fixa d'abord son attention ; mais ne considérant l'art que dans ses résultats, elle ne voulut commencer à l'apprendre qu'en faisant un tableau, et pour la première leçon on fut obligé de lui donner une toile et des pinceaux. Cette méthode lui réussit. Mais bientôt son penchant pour la peinture fut effacé par un goût passionné pour la musique. Elle Jouait du piano et possédait une voix de contralto pleine d'énergie… Elle brûlait du désir d'écrire un opéra ; mais il n'entrait pas dans sa tournure d'esprit de commencer pour cela par apprendre l'harmonie ni le contrepoint ; il fallait lui enseigner à écrire des airs, des morceaux d'ensemble et des ouvertures, comme on lui avait montré à faire des tableaux. Mlle Berlin écrivait ses idées, qui insensiblement prenaient la forme des morceaux qu'elle voulait faire ; l'harmonie se régularisait de la même manière, et l'instrumentation, d'abord essayée d'instinct et remplie de formes insolites, finissait par rendre la pensée du jeune compositeur. En procédant ainsi il se trouva qu'un jour un opéra en trois actes, dont le sujet était Guy Mannering, était achevé. Quelques amis se réunirent autour du piano et essayèrent cette production née d'une manière si singulière ; ils y trouvèrent ce qui y était en effet : de l'originalité, qui dégénérait quelquefois en bizarrerie, mais surtout un sentiment énergique des situations dramatiques qu'il était surprenant de trouver dans une femme. »

Représenté sur un théâtre de salon, dans l'intimité, Guy Mannering obtint un succès d'estime, ou plutôt d'amitié, qui décida de la vocation de Mlle Berlin. Elle écrivit encore avec Scribe un certain Loup-Garou. « Mais quoiqu'il y eût là, poursuit Fétis, plus d'habitude de faire (sic) que dans Guy Mannering, il y avait moins d'effet dans la musique, parce que le genre de la pièce n'avait aucune analogie avec la manière de sentir du compositeur. Mlle Berlin se retrouva bien plus