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dans un landau la figure pâle du pamphlétaire, avec son toupet légendaire, toujours indiscipliné mais blanchi, les applaudissemens ont éclaté. L’ordre a, d’ailleurs, été parfait, et, dès le lendemain de cette journée où tant de cris ont été poussés, tout est retombé dans le silence et dans la banalité de la vie courante. Qu’importe, au surplus, que M. Rochefort fasse son article quotidien à Paris, au lieu de le faire à Londres? En ce qui le concerne, l’amnistie n’a rien qui nous choque, et nous croyons même, contrairement à un sentiment assez commun, que c’est dans l’application à sa personne qu’elle provoque le moins de critiques. On ne nous soupçonnera d’aucune complaisance pour M. Rochefort; mais enfin les faits pour lesquels il a été condamné sont déjà anciens et se rattachent à des circonstances dont il ne reste que le souvenir. Qui sait même si d’autres, plus coupables que lui, n’ont pas échappé au châtiment ? En tout cas, le boulangisme est déjà histoire ancienne, et c’est pour des situations de ce genre que les amnisties sont faites, parce qu’elles complètent et, en quelque sorte, achèvent l’oubli. Il n’en est pas de même lorsqu’elles interviennent au milieu d’une lutte ardente, alors que les passions sont le plus excitées, soit contre nos institutions, soit contre les hommes qui les représentent, soit contre la société elle-même. L’amnistie, en pareil cas, ressemble à une faiblesse. Le désarmement qu’elle produit n’est que temporaire; le découragement qu’elle provoque dans la magistrature et dans le jury risque d’être plus profond et plus durable, et il y aurait quelque naïveté à s’y tromper. Voilà pourquoi l’amnistie de M. Rochefort est celle qui nous déplaît le moins : encore voudrions-nous être bien sûr que, si le boulangisme est déjà loin derrière nous, il n’y en a pas quelque autre en formation, qui est peut-être moins loin devant nous. Quelques personnes le pensent, et il ne faudrait pas commettre beaucoup de fautes pour leur donner raison.

Le jour même où M. Henri Rochefort rentrait à Paris, avaient lieu sur un autre point de la grande ville les obsèques de M. le maréchal Canrobert. La cérémonie a été digne du vaillant soldat auquel la République rendait des honneurs nationaux. Mais ce n’est pas sans quelques difficultés que le gouvernement avait obtenu des Chambres le vote des crédits nécessaires à ces funérailles. La discussion, au Palais-Bourbon et surtout au Luxembourg, a été pénible. Tout le monde rendait hommage au courage militaire du maréchal Canrobert et aux services qu’il a rendus sur les champs de bataille, mais on lui reprochait sa participation au 2 décembre, et aussi le rôle qu’il a joué à Metz, en 1870, au moment de la reddition de la place et de la capitulation de l’armée. Reproches bien injustes : dans l’une et dans l’autre circonstance, Canrobert était en sous-ordre ; il ne commandait pas en chef; il devait obéir. Encore a-t-il raconté lui-même qu’au 2 décembre, au moment du bombardement de la maison Sallandrouze,