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contradictoire et inconséquente ! Icy ou me presse de juger, et on attaque à Paris des moyens de récusation contre moi. »

A Paris, en effet, Linguet faisait les plus actives démarches auprès de M. Joly de Fleury pour obliger Duval à se récuser. Voici la note courageuse qu’il remettait lui-même au procureur général. « L’affaire d’Abbeville n’est pas encore terminée, et de jour en jour la lenteur qu’on y affecte devient plus criante. L’arrêt a renvoyé le jugement des accusés jusqu’après l’exécution du coupable. Cette exécution est faite. Le testament de mort est reçu. Le reste du procès est en état ; il est bien étonnant que la seule obstination du juge à ne pas juger expose un jeune homme de 18 ans, aussi innocent que malheureux, à pourrir dans les prisons où il languit, depuis un an.

« Ce n’est pas même tout. Une circonstance plus odieuse que tout le procès doit rendre le juge suspect et l’exposer à son tour à l’animadversion des magistrats supérieurs. Aussitôt après l’exécution, les parens des accusés l’ont sollicité de rendre la sentence définitive ; il n’a pas eu honte de répondre que, si on voulait passer un arrêt qui supprimât le Mémoire à consulter, il jugerait aussitôt et jugerait doucement !

« C’est ce qu’on sera en état de prouver par enquête, et par le témoignage des quatre personnes à qui il a tenu ce propos. Ainsi il ne rougissait pas de mettre un prix à son jugement ; mais il y a plus encore ! Voyant qu’il ne réussissait point par cette voie à détruire le Mémoire dont la vérité l’incommodait et dont des raisons personnelles à lui ou à son fils lui font souhaiter l’anéantissement, il a eu recours à une autre manœuvre encore plus révoltante que sa première proposition. Celui des accusés qui est en prison, est un enfant faible, sans jugement, comme il a paru au procès, et qui n’est coupable que d’avoir perpétuellement varié, sans rien dire de fixe et de positif. On a trouvé moyen de l’effrayer, d’obtenir de lui une rétractation en forme de ce que ses défenseurs ont dit pour lui, d’après ses propres aveux, d’après ses sollicitations et celles de toute sa famille !

« Le juge, muni de cette pièce, s’est hâté de se rendre à Paris, où il est, et où, sans doute, il a dû solliciter, auprès des magistrats, la suppression du Mémoire et peut-être quelque chose de plus… Les parens des deux autres accusés sont bien loin de se rétracter, ils se préparent au contraire à agir plus fortement que jamais pour mettre au jour l’innocence de leurs enfans ; mais il faut bien avant tout qu’on les juge de façon ou d’autre ! C’est ce qu’ils ne sauraient obtenir. Le juge, en se rendant à Paris, se flatte d’avoir enchaîné tout le siège. On demande s’il a raison, et si les