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plusieurs reprises ; ramené dans ses lignes par les défenseurs, il subit des pertes cruelles. La situation devenait critique pour le général, inquiétante dans toutes nos possessions du Sud, ébranlées par les succès du cheik qui s’annonçait comme le vengeur d’Abd-el-Kader. Herbillon fit appela Canrobert, alors colonel commandant le 1er bataillon de zouaves et la subdivision d’Aumale. Le colonel arriva à la mi-novembre devant cette place qui nous résistait depuis cinq mois. Après quelques jours de travaux préparatoires, l’assaut fut décidé pour le 26.

« Avant de quitter ma tente, dit Canrobert, j’avais griffonné quelques lignes qui avaient la prétention d’être mon testament. Je les remis cachetées à mon ordonnance, en lui recommandant de les faire parvenir à leur adresse si je ne revenais pas, Je réunis dans la tranchée mes officiers, pour leur donner mes dernières instructions que je terminai ainsi : Il faut à tout prix que nous enlevions la ville, et si, lorsque nous serons lancés contre elle, les obstacles se hérissaient devant nous, et qu’on osât faire sonner la retraite, rappelez-vous qu’elle ne doit être entendue ni par les zouaves ni par les chasseurs. — Puis, jetant mon fourreau de sabre : A quoi nous sert le fourreau ? Il serait obstacle dans la marche, laissons-le au camp, puisque le sabre ne doit y rentrer qu’après le triomphe. — Tous suivirent mon exemple. » — Les zouaves se ruèrent sur la brèche, leur colonel en tête. Une fusillade meurtrière les accueillit ; en quelques minutes, les quatre officiers et la plupart des hommes qui suivaient Canrobert tombèrent derrière lui.

Il dégringola avec les survivans dans la ville ; là, il fallut faire le siège de chaque maison, sous un feu plongeant. La petite troupe se lança à la baïonnette ; son chef, préservé par miracle, parvint à donner la main aux colonnes de Lourmel et Barral, entrées par les autres fronts de la place. Bou-Ziane fut pris dans sa maison ; un caïd jeta la tête du rebelle entre les pieds du colonel. Le lendemain, Zaatcha n’était qu’un brasier fumant, et les ksour voisins venaient faire leur soumission. Canrobert, rentré dans sa tente, demanda son testament : « Je m’en servis avec joie pour allumer ma pipe. » Zaatcha nous avait coûté un millier d’hommes hors de combat ; pas un seul des défenseurs ne survécut. « Episode moins éclatant, mais, dans sa sombre horreur, plus tragique peut-être que celui de Constantine, » dit Camille Roussel, l’historien de la conquête. Quelques jours après, Canrobert s’emparait de Nara. dans l’Aurès, et ce dernier succès assurait la pacification définitive de la province de Constantine. Il avait bien gagné ses étoiles de général : elles arrivèrent, avec un ordre de retour en France. Ce fut pour lui un