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et violentes. Ses plus chauds admirateurs se demandaient si cet homme que, dans les emportemens de son éloquence souvent déclamatoire, Burke avait traité de tyran, de monstre, de forban, de coquin et d’escroc, était fait pour gouverner des Anglais.

Il en ressentait un secret dépit ; il se plaignait tout bas à ses amis de son ingrate patrie. Mais il avait une âme forte, qui savait dévorer ses chagrins. En revenant de Calcutta, pendant la traversée, il avait traduit ou imité en vers anglais l’ode d’Horace : Otium divos rogat. Il avait dit avec le poète romain que le repos, la paix du cœur est le bien suprême, après lequel soupire sans le savoir le Thrace qui ne respire que la guerre, le Parthe fier de son carquois, le bien précieux que souhaite le navigateur dans les nuits brumeuses où il ne voit briller au ciel que des étoiles incertaines. Il s’amusait à meubler sa maison construite en pierre gris pâle, à embellir son parc, à creuser des lacs et des grottes, à monter des chevaux arabes, à engraisser des bestiaux, à mêler aux arbres Indigènes des plantes exotiques qu’il avait vues là-bas et qui lui racontaient sa vie. Il mourut en 1818, plein de jours. Il avait ressenti toutes les passions humaines, l’amour, la colère, la haine, l’émotion des entreprises, l’amertume des déceptions, l’ivresse des vengeances longuement méditées. Mais il y a deux sentimens qu’il n’avait point éprouvés : il est mort à 86 ans sans avoir jamais connu ni l’ennui ni le remords.

Personne n’était mieux placé que Macaulay pour raconter cette dramatique histoire. Il avait passé quatre ans dans l’Inde ; il en avait respiré l’air, il connaissait les choses, les hommes, les lieux, et quiconque a lu son essai n’oubliera jamais ni les pages qu’il a consacrées à la description de Bénarès ni ses réflexions sur le caractère hindou. Ajoutons qu’il avait un talent particulier pour peindre les natures complexes, mêlées de bien et de mal, les hommes à contrastes, qui joignent aux grandes vues de grandes perversités, les âmes un peu troubles, qui ont du mystère. Il pensait que ces figures compliquées gagnent à être représentées avec une parfaite sincérité, que celui qui fait leur portrait doit viser à l’exacte ressemblance et se garder de les flatter. — « Peignez-moi comme je suis, disait Cromwell au jeune Lely ; si vous effacez les rides et les cicatrices, je ne vous paierai pas un shelling. » — Hastings a été souvent admirable, il se souciait peu d’inspirer la sympathie. Macaulay nous le fait voir tel qu’il était. On a découvert depuis de nouveaux documens qui ont permis de rectifier quelques-unes de ses assertions, mais le jugement d’ensemble porté par lui n’a pas été invalidé : il a rendu, semble-t-il, une sentence définitive, et on verra toujours par ses yeux celui qu’il appelait le grand proconsul.

Telle n’est point l’opinion du colonel Malleson, déjà connu par quelques ouvrages importans sur l’Inde, et qui vient de publier une