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biographie de Warren Hastings en un gros volume de 550 pages[1]. Quelle que soit la valeur très réelle de ce livre, il faut convenir qu’il est très long, que l’auteur est prolixe, un peu diffus, qu’il ne croit avoir dit les choses que lorsqu’il les a répétées vingt fois, que si on retranchait de son volume toutes les redites, tous les détails oiseux, on le réduirait d’un bon tiers et que le lecteur n’y perdrait rien. C’est Macaulay, je crois, qui a raconté qu’il y avait eu jadis en Italie un criminel auquel on avait fait grâce des galères à la condition qu’il s’engagerait à lire Guicciardini : il accepta la proposition, mais il ne put aller jusqu’au bout de la guerre de Pise, et se ravisant, il prit la rame. Je suis persuadé que tout galérien consentirait de grand cœur à lire le livre du colonel Malleson, et que s’il avait le goût de s’instruire, il irait jusqu’au bout, sans plaindre ses peines. Pour ma part, je l’ai lu tout entier, sans rien passer et avec plaisir, et je ne me crois pas un héros pour cela. Il n’en est pas moins vrai que certains écrivains se défient trop de l’intelligence de leurs lecteurs et se fient trop à leur patience.

Le livre de M. Malleson a un autre défaut ; c’est moins une biographie qu’un panégyrique, accompagné d’un violent réquisitoire contre quiconque s’est permis de penser que Hastings n’était point un homme sans reproche, que sa mémoire n’était pas immaculée comme une robe d’hermine. Il traite Macaulay de pamphlétaire ; il lui reproche ses invectives, ses allégations mensongères, ses médisances empoisonnées, his venomous distillations, sa criante injustice à l’égard d’un des hommes les plus grands, les plus nobles et les plus purs qu’ait produits l’Angleterre. Il va jusqu’à dire « que si rien n’a tant souillé la renommée de Burke que ses attaques contre Hastings, rien n’a plus compromis la réputation de véracité et d’honneur de lord Macaulay que son fameux et venimeux Essai. »

On croit rêver. Macaulay aurait-il par hasard méconnu, rabaissé le génie politique de Hastings ? Il déclare que ce grand proconsul a rendu à son pays d’inappréciables services, que dans le temps où la Grande-Bretagne maltraitée par la fortune était contrainte de reconnaître l’indépendance des États-Unis, de restituer à l’Espagne Minorque et la Floride, de rendre à la France le Sénégal et plusieurs îles des Indes occidentales, la seule partie du monde où elle n’eût rien perdu était celle dont les intérêts étaient confiés aux soins, à la vigilante tutelle de Warren Hastings. Macaulay ne loue pas moins son génie d’administrateur, tout ce qu’il fit pour réformer la justice, la perception des revenus, pour mettre de l’ordre dans les affaires, pour organiser un État en proie à l’anarchie. « Quiconque, dit ce pamphlétaire, réfléchira sérieusement à ce que c’est que de construire une machine aussi

  1. Life of Warren Hastings, first governor general of India, by colonel C. B. Malleson ; Londres, 1894, Chapman et Hall.