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cour le condamna à mort, il fut pendu en plein jour, devant des milliers de spectateurs.

Pendre un brahmane, c’était beaucoup oser ; pendre un faussaire, c’était plus grave encore. Les indigènes n’en revenaient pas, cela choquait toutes leurs idées ; ils n’avaient jamais pensé qu’il fût possible de pendre un homme pour avoir contrefait un sceau. M. Malleson affirme que Hastings ne fut pour rien dans cette affaire, qu’assurément il avait de bonnes raisons d’exécrer Nuncomar, mais qu’on a beau examiner tous ses papiers, toutes ses lettres, on n’y découvre aucune preuve qu’il eût été le complice de cette exécution. Nous l’en croyons sans peine ; il est fort probable en effet que Hastings ne recourut pas à la plume pour s’entretenir de cette affaire avec sir Elie Impey, qu’il ne lui a jamais écrit : « Pendez cet homme, vous me rendrez service. » Mais il écrivait, trois ou quatre ans après, qu’Impey était l’homme auquel il avait eu, dans certaine circonstance, les plus grandes obligations. Macaulay ne l’a pas jugé sévèrement : « Il défendait sa fortune, son honneur, sa liberté d’action, tout ce qui rend la vie précieuse. On ne peut lui en vouloir d’avoir cherché à écraser ses ennemis. » Mais Macaulay dit aussi qu’il faut être « un idiot ou un biographe » pour admettre qu’il ne fut pour rien dans la pendaison de Nuncomar. Le mot est dur, un peu brutal, et je comprends que M. Malleson n’ait pu le digérer.

Hastings n’avait pas seulement affaire à des jaloux, à des intrigans qui lui causaient beaucoup d’ennuis et de tracas : il eut plus d’une fois à se débattre contre de grands embarras financiers. Il devait fournir à de grosses dépenses, payer des fonctionnaires, entretenir une armée ; ses guerres étaient fort coûteuses, et sa caisse était souvent vide. Alors il s’industriait, et ses voisins les princes indigènes n’avaient qu’à se bien tenir : personne n’était plus ingénieux que lui pour se procurer des ressources à leurs dépens.

Cheyte-Sing, le rajah de Bénarès, en fit l’expérience. Hastings avait besoin d’une forte somme, et il le soupçonnait d’avoir amassé un trésor. Il ne s’agissait plus que de faire naître une querelle. On le mit en demeure de lever un corps de cavalerie pour le service du gouvernement anglais ; il s’y refusa : « Je résolus, dit Hastings lui-même, de tirer de sa désobéissance des ressources pour les embarras de la Compagnie, de lui faire acheter très cher son pardon ou d’exercer une sévère vengeance de ses fautes passées. » Il offrit 200 000 livres sterling : on lui en demanda 500 000, et bientôt on le coffra. Ses sujets ayant pris parti pour lui, il fut déposé, et cette révolution ajouta 200 000 livres au revenu annuel de la Compagnie. M. Malleson a établi que Cheyte-Sing n’était pas un prince indépendant, mais un simple vassal, dont on avait le droit d’exiger des subsides. Cependant William Pitt, qui ne