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LA PSYCHOLOGIE DES PEUPLES


ET L’ANTHROPOLOGIE




Une science nouvelle est aujourd’hui en formation, qui a pour objet la psychologie des peuples. Mais, sous l’empire de préoccupations politiques, on s’est efforcé, d’abord en Allemagne, puis en France, de confondre l’étude des nationalités avec celle des races. Il en est résulté une sorte de fatalisme historique qui assimile le développement d’un peuple à celui d’une espèce animale et tend à absorber la sociologie dans l’anthropologie. En outre, ceux qui transforment ainsi en guerres de races les guerres des sociétés ont l’intention de légitimer par-là, au sein du « genre Homo », le droit du plus fort. Ce n’était pas assez de la « lutte pour la vie » entre les blancs et les noirs ou les jaunes ; certains anthropologistes ont imaginé aussi la lutte pour la vie entre les blonds et les bruns, entre les crânes longs et les crânes larges, entre les vrais Aryens (Scandinaves ou Germains) et les Celto-Slaves. C’est une nouvelle forme du pangermanisme. La couleur même des cheveux devient un étendard et un signe de ralliement : malheur aux bruns ! Les batailles qui ont eu lieu jusqu’à ce jour sont un jeu, paraît-il, auprès de la grande bataille qui se prépare pour les siècles prochains. On « s’égorgera par millions, dit un anthropologiste, pour un ou deux degrés en plus ou en moins dans l’indice céphalique. » C’est à ce signe, remplaçant le Shiboleth de la Bible, que se feront les reconnaissances de nationalités. Certains sociologues entonnent aussi l’hymne à la guerre, comme M. Gumplowicz[1], M. Gustave Le Bon. Ainsi se répand jusque dans notre pays la théorie allemande qui, au nom

  1. Voyez sur le livre de M. Gumplowicz, la Lutte des Races, dans la Revue du 15 janvier 1893.